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La « croissance verte » est un leurre à jeter dans les poubelles de l’histoire

Dernière modification le 20-11-2023 à 14:50:55

Notre économie capitaliste est basée sur la recherche du profit induisant une croissance économique, à tout prix. Face aux enjeux écologiques qui montrent de plus en plus que le système a atteint et même dépassé ses limites, qu’il faudrait changer d’objectif, les économistes et dirigeants politiques plaident pour une « croissance verte » qui permettrait selon eux de maintenir la relative stabilité du système tout en permettant d’affronter avec succès les problèmes écologiques que nous rencontrons. La pierre philosophale, vraiment ?

La croissance verte est une héritière du développement durable qui a trouvé sa place dans tous les documents de référence, de la constitution fédérale aux programmes des partis, en passant par les plans d’étude scolaires. Dès ses premières formulations, le développement durable a assumé un rôle ambigu, promettant de résoudre les difficultés écologiques grâce à la croissance économique. L’efficacité énergétique, les technologies de recyclage et l’économie circulaire allaient permettre de générer une croissance qui ne remettrait plus en cause les conditions de vie sur Terre. La croissance verte était née.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux et celles qui plaident en faveur d’un développement durable, d’une transition écologique ou énergétique ou de diverses formes de durabilité. Ces termes restent excessivement vagues et il convient d’analyser à chaque fois les propositions concrètes pour savoir s’il s’agit de programmes sérieux ou de leurres illusoires.

« L’idéologie de la croissance est devenue aussi immuable qu’une croyance religieuse ancrée depuis des siècles. »

L’idéologie de la croissance est devenue aussi immuable qu’une croyance religieuse ancrée depuis des siècles. La technologie et la science sont à son service. Dans une logique productiviste, on continue à considérer que les catastrophes écologiques en cours d’aggravation ne sont pas une raison suffisante pour remettre fondamentalement en cause nos aspirations, notre modèle économique, nos modes de vie et notre relation à la nature. Même le risque d’une dévastation définitive du vivant sur Terre ne conduit pas à une remise en question. Les élections fédérales d’octobre 2023 ont encore montré que la croissance économique continue à faire l’objet d’un consensus entre toutes les forces politiques représentées au parlement. Seules les modalités de cette croissance font l’objet de véritables désaccords.

La croissance économique attendue aujourd’hui, au niveau mondial, est de l’ordre de 3 %. La production mondiale, évaluée sous la forme du mondial produit brut (l’équivalent du PIB d’un Etat, mais au niveau mondial) augmenterait donc de 3 % par année, ce qui correspond à un doublement en un peu plus de 23 ans et à une multiplication par huit en 70 ans. Sachant que l’augmentation de la consommation d’énergie et des matières premières, de même que l’empreinte écologique globale, sont fortement corrélées à la croissance économique, il faut s’attendre, si on en croit les prévisions économiques, à une augmentation dans la même mesure de l’extraction de matières premières et de produits énergétiques. Atteindre ce genre de résultat relève de la pensée magique. On peut rêver de solutions technologiques qui permettraient de sortir de la nasse, mais c’est en réalité un cauchemar qui consiste à sauter dans le vide en espérant qu’une solution sera trouvée avant d’atteindre le sol.

De fait, la croissance verte est basée sur la nécessité d’un découplage entre l’empreinte écologique globale et la croissance du PIB. Il faudrait donc que la consommation de matières premières et d’énergie diminue pendant que l’économie continue à croître. Si on a pu observer un certain découplage dans des économies développées, il est relatif : la consommation de ressources augmente moins fortement que la croissance économique, mais elle ne diminue pas pour autant. Certains États se targuent d’avoir atteint un découplage absolu, soit une diminution de leur consommation, mais c’est au prix du transfert de leurs activités polluantes et destructrices ailleurs dans le monde. Ces États importent leurs produits industriels, tout simplement. Lorsque l’on tient compte de la consommation de ressources directe et indirecte des pays les plus développés, on se rend compte que la consommation d’énergie et de matières premières n’a pas diminué. Le découplage est un mythe.

« Il n’y a pas de véritable dématérialisation de l’économie. »

Plusieurs raisons concourent à expliquer cette situation. D’abord, le glissement vers des économies de service se fait en s’appuyant sur une production matérielle dans d’autres régions du monde. Il n’y a pas de véritable dématérialisation de l’économie. Les revenus gagnés dans l’économie tertiaire sont utilisés pour acheter des biens matériels et ces activités économiques nécessitent souvent des ressources matérielles importantes, comme dans le cas du tourisme ou des services numériques.

Il y a aussi l’effet-rebond directement lié au progrès technique. Par exemple, lorsque des économies d’énergie sont réalisées, elles libèrent la possibilité d’utiliser l’énergie ou les revenus épargnés dans un autre but. Le fait de fabriquer des moteurs de voitures qui consomment moins d’essence n’a pas conduit à une diminution de la consommation d’essence, car les véhicules sont devenus plus lourds et plus puissants et les trajets se sont allongés. Cette économie d’énergie peut également être affectée à d’autres usages, comme de plus fréquents voyages en avion. L’effet-rebond montre qu’il ne suffit pas de rechercher l’efficacité énergétique pour consommer moins, mais qu’il faut agir sur les usages.

D’autre part, si les énergies renouvelables sont « propres », les infrastructures nécessaires pour les accumuler ne le sont pas. Elles impliquent un extractivisme massif pour collecter les métaux nécessaires. La transition vers des énergies alternatives va donc requérir une augmentation importante des extractions, avec comme conséquence la pollution des sols, de l’eau et la destruction des biotopes. Cet extractivisme va également s’accroître à cause de la baisse tendancielle des concentrations métalliques dans les minerais. On peut ajouter que l’énergie dite propre est trop souvent produite au détriment d’autres éléments naturels : la préservation des milieux naturels, le non-épuisement des ressources minérales et biologiques, la protection de la biodiversité et des espèces vivantes.

Au surplus, le remplacement d’objets techniques anciens par des nouveaux considérés comme plus écologiques répond plus souvent au besoin de soutenir une branche économique qu’à un véritable objectif écologique. L’exemple de la voiture électrique imposée à marche forcée est assez parlant.

« Les matériaux nécessaires à la transition énergétique se trouvent en majorité sur d’autres continents, sur les territoires de populations moins riches que nous. »

Les matériaux nécessaires à la transition énergétique se trouvent en majorité sur d’autres continents, sur les territoires de populations moins riches que nous. Si nous ne prenons pas de précautions, les multinationales de l’énergie propre seront tout aussi destructrices que celles de l’énergie fossile : elles corrompront les politiciens, pollueront les écosystèmes, feront du lobbying contre les règles environnementales, feront assassiner les militants écologiques qui s’opposeront à leurs méfaits.

Le recyclage est aussi bien souvent illusoire. Ce qui est recyclable n’est pas forcément recyclé et on reste en pratique très loin du 100 % recyclé. Seule une fraction des matériaux utilisés peut vraiment être recyclée. Pensons à la miniaturisation, aux alliages, aux objets par nature non réparables, etc.

Les discussions autour de la croissance verte ou du développement durable restent trop exclusivement techniques. Tout montre pourtant que les améliorations techniques ont généralement conduit à une augmentation de la consommation des ressources naturelles et non à une diminution. Si on veut réussir à diminuer l’impact destructeur de nos activités, il est nécessaire d’interroger nos usages de l’énergie et des ressources. Continuer à produire, quoi qu’il en coûte en termes d’atteinte à la biodiversité ou aux milieux naturels et d’épuisement des ressources naturelles, en ne remettant jamais en cause des modes de vie fondés sur le gaspillage et des besoins créés par la publicité (souvent inutiles, voire futiles) est une impasse.

Nous devons désormais consacrer nos ressources aux besoins fondamentaux et non à n’importe quelle innovation introduite sur le marché. Face à l’inévitable contraction énergétique qui vient, une minorité considère qu’elle peut continuer à faire croître ses besoins pendant que d’autres régions du monde connaissent déjà un effondrement écologique avancé. Se concentrer sur de prétendues solutions techniques alors qu’on devrait tout simplement questionner et amender nos usages est stupide.

« Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que nous avions quand nous les avons créés. » 

Le problème n’est pas que nous n’aurions pas assez d’énergie et de ressources à disposition et qu’il faudrait absolument en trouver de nouvelles. Le problème, c’est que nous avons eu, à travers les énergies fossiles, une trop grande quantité d’énergie et de ressources à disposition. Si nous découvrions maintenant une nouvelle forme d’énergie, propre et infinie, elle servirait à achever la dévastation de la biosphère. Comme disait Albert Einstein : « Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que nous avions quand nous les avons créés. » 

Un véritable découplage entre notre empreinte écologique et la croissance économique est un leurre. Nous devons arrêter de perdre du temps avec cette prétention ridicule et entamer enfin la décroissance de notre consommation de ressources naturelles, surtout lorsque c’est en vue d’usages absurdes au regard des dangers qui nous menacent. La course aux innovations techniques est une composante d’un système mortifère qui nous engage à continuer à soutenir un système économique basé sur la recherche du profit et la croissance des besoins. Nous devons réformer ce système économique pour qu’il réponde désormais aux besoins de la population.

« La prétendue « croissance verte » est un leurre qui sert à gagner du temps au service de l’accumulation des profits. « 

Le défi devrait être posé aux partisans de la croissance verte par les tenants d’une réelle économie écologique : fixer une limite annuelle de prédation des ressources naturelles et la réduire chaque année jusqu’à revenir en dessous des limites écologiques planétaires. Ce serait mettre à l’épreuve leur prétention à bâtir une économie basée sur la croissance verte. À coup sûr, le défi ne serait pas accepté par les promoteurs de cette idéologie, l’échec étant programmé. Ils le savent.

La prétendue « croissance verte » est un leurre qui sert à gagner du temps au service de l’accumulation des profits. Nous ne sortirons pas de la nasse sans une décroissance soutenue et rapide de notre consommation d’énergie et de matières premières. Nous avons trop perdu de temps avec des lubies.

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