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Pour la décroissance. Et les entreprises ?

Dernière modification le 19-2-2024 à 17:36:51

Aujourd’hui encore, alors que des signaux dramatiques nous arrivent tous les jours, on doit expliquer et encore expliquer que seule une décroissance des flux physiques permettra d’éviter un désastre global. Malgré des années de débats et de publications scientifiques, nombreux sont encore ceux qui tentent de vendre des solutions faciles sous les dénominations de développement durable, transition énergétique ou croissance verte. Le point commun de ces différentes solutions, c’est la tentative de pérenniser un système économique basé sur la course au profit, les gaspillages et l’exploitation sans limites de la nature. Comme à chaque évolution historique, après que la décroissance ait été considérée comme ridicule, puis dangereuse, viendra enfin le moment où elle apparaîtra tout simplement comme évidente. Mais quel temps on aura inutilement perdu !

L’ensemble de nos élus, de tous les partis, communient dans la croissance économique. Seules quelques rares individualités se détachent de ce consensus hégémonique.

L’ensemble de nos élus, de tous les partis, communient dans la croissance économique. Seules quelques rares individualités se détachent de ce consensus hégémonique. À chaque fois qu’il est question de décroissance, quelques soient les propositions concrètes, l’impétrant est renvoyé à la planification soviétique, à la dépression économique de pays « sous-développés », quand ce n’est pas très bêtement au retour à la bougie ou aux cavernes. La discussion semble impossible tant la volonté de caricaturer domine outrageusement.

Et pourtant, une décroissance globale de l’économie pourrait tout à fait s’accompagner du développement de nouvelles activités économiques, d’entreprises florissantes et d’une forme d’économie de marché, loin des caricatures éculées. Quelle est, au fond, la base du programme décroissant ? Une réduction des flux de matériaux et d’énergie, accompagnée par un rétrécissement de la sphère de la rationalité strictement économique, actuellement dominante. Les formes précises que prendrait cette nouvelle direction restent soumises au débat démocratique.

Parmi les écologistes et peut-être encore plus parmi les décroissants, les entreprises souffrent d’un a priori négatif. C’est compréhensible dans la mesure où nombre d’entre elles sont les actrices des destructions écologiques en cours. On ne peut toutefois pas en rester là, car les entreprises ne sont pas destinées à disparaître, seulement à changer. Aujourd’hui, notre système économique privilégie la recherche du profit à tout prix et l’accumulation de capitaux, au détriment d’une économie dont l’objectif serait de répondre à des besoins déterminés. C’est donc cette recherche du profit sans discernement qui est en cause.

Les entreprises ne sont pourtant pas toutes destinées à l’accumulation sans fin de bénéfices.

Les entreprises ne sont pourtant pas toutes destinées à l’accumulation sans fin de bénéfices. Il y a tout d’abord des entreprises publiques, aux mains des collectivités, dont l’objectif premier doit être la production de services publics. Ces entreprises peuvent très bien fonctionner sans chercher de marge bénéficiaire, voire à perte si l’activité est soutenue par l’État. D’autres entreprises ont adopté le statut juridique de coopérative ou d’association et se donnent alors pour objectif la satisfaction de leurs membres. Là aussi, elles peuvent se passer de la recherche de bénéfices. Il y a enfin des entreprises dont le statut juridique permet la recherche de bénéfices, mais qui ne s’orientent tout simplement pas dans cette direction, cherchant elles aussi simplement à produire des biens ou des services à satisfaction. On peut penser ici à toutes les entreprises individuelles ou familiales dont le but est simplement de fournir un revenu régulier à leurs propriétaires. Et on pourrait encore envisager, notamment en s’inspirant du droit d’autres pays que le nôtre, de créer de nouveaux statuts juridiques adaptés à des activités économiques dont les buts seraient avant tout démocratiques, sociaux ou écologiques.

Il est donc tout à fait imaginable d’avoir un tissu riche d’entreprises créatives et productives, mais qui ne chercheraient pas à amasser des dividendes pour des actionnaires qui ne sont en aucune manière liés à l’activité. Il faut d’ailleurs noter que des entreprises florissantes sont trop souvent récompensées d’un programme de licenciement massif par une augmentation de la valeur de leur action en bourse, car les bénéfices attendus sont alors en hausse, au prix d’un accroissement de la productivité des employés restants. Ce tissu d’entreprise devrait alors toutefois être redirigé vers des buts différents de la recherche du profit (sans toutefois exclure totalement celle-ci, si la majorité estime que cela reste une motivation souhaitable dans certains cas). En tous les cas, il faudra remettre en question des pratiques comme la filière inversée systématique, l’obsolescence programmée, l’invasion publicitaire massive, qui sont des corollaires de la course à la surconsommation qui détruit les conditions de vie des humains et non-humains. À cet effet, le système monétaire, la finance, le caractère privé ou public des entreprises, la sphère accordée au marché devront être revus. Il faudra aussi certainement consacrer le fait qu’un certain nombre d’activités devront échapper à la rationalité économique et au marché et donc financées par la dépense publique.

Il faut ici rappeler qu’il s’agit d’une décroissance globale qui n’empêche pas certaines activités d’être en croissance.

Il faut ici rappeler qu’il s’agit d’une décroissance globale qui n’empêche pas certaines activités d’être en croissance. Par exemple, si une production de nourriture locale et de qualité doit remplacer la nourriture importée et produite en masse dans des conditions anti-écologiques, cela occasionnera une croissance significative des coopératives de production locale. Mais, les flux physiques étant en forte diminution par rapport au modèle alimentaire actuel, cela se traduira vraisemblablement par une décroissance globale du secteur, en tout cas en ce qui concerne sa consommation énergétique et matérielle.

Quid alors du « capitalisme » ? Il faut ici oser différencier « l’économie de marché », qui peut servir d’autres buts que la recherche du profit, et « le capitalisme » dont l’objectif est l’accumulation de profits. La décroissance peut alors devenir une voie de sortie du capitalisme tout en conservant les structures qui peuvent encore servir. Pas toutes les structures, mais celles qui peuvent s’accommoder d’un changement fondamental d’objectif.

A nous de décider si nous préférons affronter un déclin voire un effondrement économique dans le cadre existant ou si nous préférons décider consciemment d’une réorientation de nos objectifs économiques…

C’est le débat démocratique qui devra décider des formes que prendrait une telle évolution. Les changements à entrevoir sont monumentaux, car ils sont à la mesure des dangers qui nous menacent. A nous de décider si nous préférons affronter un déclin voire un effondrement économique dans le cadre existant ou si nous préférons décider consciemment d’une réorientation de nos objectifs économiques, pour remettre notre économie dans les limites écologiques qui s’imposent. Les outils de l’économie peuvent servir à répondre à de réels besoins plutôt qu’à poursuivre les chimères d’une croissance infinie dans un monde désespérément clos, pour le profit d’une minorité privilégiée.

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Un commentaire

  1. Super article! Merci :-) très clair et précis.

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