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Vols de loisir – Un luxe insoutenable dans un monde en crise

Dernière modification le 20-9-2024 à 15:02:00

L’aviation se porte mieux que le climat

Réunie pendant trois jours à Dubaï (Émirats arabes unis), l’Association internationale du transport aérien (Iata), qui regroupe 320 transporteurs et représente 83 % du trafic aérien mondial, a prévu le 3 juin une fréquentation exceptionnelle pour 2024 : 4,96 milliards de voyageurs sont attendus cette année. Soit plus que le précédent record de 2019, établi à 4,54 milliards de voyageurs.

Cette croissance se reflète également dans les résultats économiques du secteur. En 2024, les compagnies aériennes devraient engranger 996 milliards de dollars de revenus et 30,5 milliards de dollars de bénéfices. Ces profits ont atteint 27,4 milliards de dollars en 2023, bien plus que les 23,3 milliards prévus en décembre dernier.

Success story de mauvais augure pour le climat

La décarbonation du secteur sera « compliquée », selon Willie Walsh, directeur général de l’Iata. Fin 2023, l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) s’était engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 5 % d’ici 2030 et à atteindre zéro émission nette d’ici 2050, notamment grâce à l’utilisation de carburants d’aviation durables (SAF), pourtant très controversés (SAF va tripler en 2024, mais avec un total de 1,5 million de tonnes, cela ne couvrira même pas 1 % de la demande mondiale). Walsh lui-même a prévenu que l’objectif de 5 % de SAF d’ici 2030 est « extrêmement ambitieux » et difficilement réalisable.

Actuellement, le secteur aérien représente environ 3 % des émissions mondiales de CO2, et 5,1 % du réchauffement climatique anthropique entre 2000 et 2018.

Swiss, par exemple, a enregistré un chiffre d’affaires record de 5,3 milliards de francs pour 2023, marquant ainsi un net rebond après la pandémie.

A noter que les émissions de CO2 des vols internationaux au départ de la Suisse représentent : Environ 10 % des émissions totales de CO2 recensées dans l’inventaire des gaz à effet de serre de la Suisse. Environ 18 % des émissions de CO2 liées à la consommation de carburants et combustibles vendus en Suisse.
Source : Confédération Suisse, dossier 072.21-00007/00001 CO2-Emissionen_des_Luftverkehrs_FR.pdf (page3).

Le phénomène d’« avihonte » a perdu de son élan

Le phénomène d’« avihonte » (ou « flygskam » en suédois), qui incitait les gens à réduire leurs vols par souci climatique, semble avoir perdu de son élan. Bien que le nombre de passagers reste inférieur aux niveaux pré-pandémiques, il se rapproche dangereusement des chiffres de 2019.

Cyrill Hermann, de la « Grève mondiale du climat », et le comportementaliste Christian Fichter n’en sont pas surpris. « L’homme peut changer, mais dans certaines limites », explique Fichter. « Un changement durable est difficile à mettre en œuvre. » Selon eux, l’impact du mouvement climatique sur la réduction des voyages en avion n’a pas été aussi important qu’espéré, car la majorité des individus priorise toujours le confort personnel sur la restriction volontaire pour des raisons écologiques.

Hermann critique également l’idée de l’avihonte. Selon lui, la responsabilité des émissions de CO2 incombe surtout aux compagnies aériennes et aux gouvernements, et non aux individus. Il prône des mesures structurelles, comme la réduction des vols courts d’ici 2030, tout en admettant que l’élan du mouvement climatique de 2019 s’est atténué. Il souligne que tant que 100 entreprises industrielles sont responsables de plus de 70 % des émissions mondiales, beaucoup d’individus ne voient plus la responsabilité uniquement en eux-mêmes.

Fichter confirme ce constat : bien que les gens soient conscients des enjeux climatiques, le dilemme entre voyager pour le plaisir et protéger l’environnement reste fort. « En fin de compte, c’est le confort et le porte-monnaie qui décident », dit-il. Pour Fichter, au-delà de la culpabilisation, il faut avant tout éduquer et convaincre pour provoquer un changement comportemental.

Et pourtant, nos responsabilités sont bien réelles !

Cette approche passe sous silence une réalité fondamentale : la demande crée l’offre. Même si les industriels s’arrangent pour stimuler cette demande par des offres attractives et une publicité constante, les consommateurs jouent un rôle central.

Il est facile de mettre la faute uniquement sur les compagnies aériennes ou les gouvernements pour générer plus de CO2, mais cela revient à se déculpabiliser.

La réalité est que l’industrie répond à une demande croissante alimentée par le confort et le désir de voyager toujours plus. Les compagnies aériennes, en offrant des vols à bas prix et en facilitant le tourisme de masse, contribuent sans doute à cette croissance insoutenable, mais cette demande existe parce que les consommateurs sont prêts à prendre l’avion, souvent pour des raisons de loisirs.

Ignorer ce fait revient à détourner la responsabilité individuelle et à minimiser l’impact que nos choix quotidiens ont sur la planète. Tant que nous continuerons à soutenir cette industrie par notre comportement, les compagnies répondront en proposant toujours plus d’opportunités de voyage, même au détriment du climat.

La réalité est sombre

Chaque vol inutile a un impact, particulièrement sur les populations défavorisées qui subissent déjà les conséquences des catastrophes climatiques. Ces communautés, qui n’émettent que peu de CO2, continuent à payer le prix fort pour les comportements irresponsables des pays riches, en particulier ceux de l’Occident.

Comment peut-on ainsi se moquer des effets dévastateurs de nos choix, tout en fermant les yeux sur la souffrance de celles et ceux qui n’ont rien fait pour mériter cela ?

La vérité, que personne ne veut admettre, est que nous mettons en danger des familles à des milliers de kilomètres de nos zones encore épargnées. Nous devons même reconnaître que des personnes perdent la vie à cause des conséquences directes de nos loisirs. Et ce n’est qu’une question de temps avant que ces mêmes impacts ne frappent directement nos sociétés occidentales, nous rappelant que personne n’est à l’abri des répercussions de nos choix individualistes.

Une réflexion urgente s’impose sur l’impact de nos actions et sur la responsabilité que nous portons envers les populations les plus vulnérables.

Il est temps de rétablir le flygskam…

Il est bien honteux de voyager pour son propre plaisir. On ne peut pas donner d’une main à la chaîne du bonheur et de l’autre main créer des souffrances pour les plus défavorisé·e·s. Il faut regarder les choses en face et reconnaître les conséquences de nos actes.

Nos propres enfants et petits-enfants ne comprendront pas nos compromis irresponsables. Nous créons une dette irremboursable, des dégâts irréparables. Comment expliquerons-nous tout ceci ?

Rétablissons, ensemble, l’avihonte. Nous en sommes capables. Nous l’avons fait dans le passé pour ce qui concerne les manteaux de fourrures. D’autres exemples historiques existent : la honte de la discrimination raciale (dans les années 1950 et 1960), et plus anciennement, la honte de l’exploitation des enfants dans le travail (19e siècle), la honte du duel (19e siècle), et la honte de l’esclavage (fin du 18e siècle).

Il est temps de prendre nos responsabilités et d’agir avant que nos choix d’aujourd’hui ne deviennent les regrets irréparables de demain.

Sources

Calcul des émissions de CO2

Le calcul des émissions de CO2 pour un vol identique peut varier en fonction des outils utilisés – qu’il s’agisse de plateformes comme Greentripper, MyClimate, ou encore ClimatMundi. Mais au fond, peu importe la variation des chiffres : il s’agit d’une pollution massive et, dans la majorité des cas, totalement évitable.

Il est temps de remettre en question ce type de comportement de loisir qui n’a plus sa place dans un monde où chaque tonne de CO2 compte.

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