Dernière modification le 1-6-2022 à 15:25:01
Le Monde, 4 janvier 2022. « Les défis de l’économie circulaire », Économie et entreprise, pp.18-19.
Depuis quelques années, la question du recyclage a commencé à faire figure d’enjeu environnemental majeur – et ce pour quelques raisons bien senties. Il y a d’abord ce fait que, s’agissant des ressources mondiales, nous en sommes venus à en utiliser 74% de plus que ce que les écosystèmes de la planète peuvent régénérer – l’équivalent donc de ce que produirait 1,7 Terre. En outre, il est à présent établi qu’environ 50% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 90% des pertes de biodiversité et d’eau se produisent lors de la phase d’extraction et de traitement des ressources – ce alors même qu’en 2020, sur les 100 milliards de tonnes de métaux annuellement consommées, seuls 8,6% se sont vues réutilisées. Enfin, selon la Commission européenne, à l’horizon de 2030 un autre spectre guette : celui d’une substantielle augmentation de la demande mondiale en termes d’alimentation (+ 35%), d’eau (+ 40%) et d’énergie (+ 50%). C’est ainsi que, conscients des risques que font planer, outre le spectre du dérèglement climatique, les bien réelles difficultés de réapprovisionnement exacerbées par l’apparition de la pandémie de Covid-19, toutes sortes de secteurs ont entrepris de s’orienter davantage vers la réparation que vers la production.
En France, par exemple, dans le domaine de l’automobile, l’usine Renault de Flins (Yvelines), la plus vieille encore en activité, annonce fièrement sa métamorphose : bien plus que de produire des véhicules, recycler les batteries, réparer les pièces détachées et convertir les véhicules thermiques en électriques devient la grande affaire. L’objectif ? « Dynamiser le marché de l’occasion en reconditionnant avec les standards du neuf, et en réduisant les matières, les délais et les coûts de réparation pour nos concessionnaires ».
La marque au losange est loin d’être la seule à innover en ce sens. Agroalimentaire, textile, électroménager et même le secteur du bâtiment et des travaux publics s’empressent de se ranger sous la bannière des « trois R » (réutilisation, recyclage, réduction). Selon Julie de la Brosse : Ikea vient d’annoncer une offre 100% circulaire à l’horizon 2020 ; Danone, Carrefour, Pernod Ricard ou encore L’Oréal visent 100% d’emballages recyclables d’ici 2025 ; Apple annonce que, d’ici à 2030, il n’aura plus besoin d’extraire de matière vierge pour fabriquer ses iPhone ; Nike, pour sa part, s’apprête à vendre des baskets légèrement usagées quand Bouygues, lui, met en place une plate-forme de partage de matériel du bâtiment… Dans le domaine de la petite réparation, avec plus de 2234 unités recensées dans une quinzaine de pays, les Repair Cafés font florès – où s’activent des bénévoles, tous bricoleurs à leurs heures, désireux de dispenser gratuitement leur savoir-faire.
Certes, au passage, on ne manquera pas de relever que l’économie circulaire ainsi prônée s’avère un bon moyen de répondre à la question cruciale de l’approvisionnement et à la flambée des prix, à l’heure où la transition énergétique se révèle très gourmande en minerais et autres terres rares… et au moment où bientôt 9 milliards d’humains aspirent à consommer davantage.
Alors ? Une économie circulaire comme promesse d’une déconnexion entre croissance et pressions sur la biosphère ? Pas si simple.
En premier lieu, explique Florian Fizaine, spécialiste des ressources minérales, « pour recycler massivement, il faudrait simplifier et uniformiser les technologies. Or ce n’est pas la direction prise par les industriels qui cherchent plutôt à imposer leurs propres standards ». Un seul exemple : la variété de chimie des batteries électriques pesant sur leur rentabilité.
En outre, estime Patrice Christmann, « même si la technologie permettait de réutiliser 100% de la matière, tout en conservant ses qualités intrinsèques, le recyclage ne pourra jamais répondre entièrement à la hausse de la demande matérielle. C’est pourquoi, si l’on veut véritablement boucler la boucle, la circularité pousse à réfléchir bien au-delà du recyclage. C’est vers un changement de paradigme qu’il faut aller, avec une production et des modes de distribution plus locaux, mais aussi un changement des modes de consommation ». D’autant, relève Emmanuelle Ledoux, que « l’économie de seconde main par exemple renvoie à plein d’écueils consuméristes. Des sites comme Vinted ont renforcé les logiques de consommation en déclenchant les actes d’achat ». Dès lors, à suivre Matthieu Glachant, subventionner le recyclage ne peut que revenir à décourager la sobriété et la prévention.
S’agissant donc de limiter une forme d’effet rebond bien connu des économistes, Jean-Christophe Taret pose qu’une « façon très efficace de vraiment faire bouger les choses est de développer des règlementations contraignantes, comme c’est le cas dans le plastique où les obligations légales ont eu un impact positif sur les modèles économiques associés au recyclage ».