jeudi , 18 avril 2024

Le monde sans fin

Dernière modification le 2-6-2022 à 10:33:50

Lecture, par Raphaël Goblet (repris tel quel sur Facebook)

Lecture – BD pour une fois, ça change des essais prise de tête

Le monde sans fin, Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, Dargaud, 193 pages (écrit grand et dessiné beau !).

Depuis tout petit je suis fan de BD. Ça m’est resté, et mon pognon qui ne part pas dans les essais sur la transition et l’effondrement part systématiquement dans les BD (imagine le bonheur de mon libraire depuis que j’ai supprimé mon compte Amazon premium il y a 5 ans – et la détresse de ma femme qui doit porter un cache-œil au pieu).

Alors fatalement, quand j’ai su que Janco sortait un ouvrage avec Blain (ou inversement), j’en ai commandé deux de suite.

Putain !!!!! Blain qui fait une BD avec mon Janco… 😅. J’osais pas trop me réjouir (enfin, si, au fond), de peur d’être un peu déçu.

Bin mon cochon ! J’aurais du profiter de ma réjouissance parce que la déception n’est pas au rendez vous. Quel bonheur, quel régal 😍.

Blain retranscrit les propos de Janco d’une manière particulièrement sensible: on sent que les touches d’humour (juste ce qu’il faut, sans en faire trop, c’est beau) sont là pour masquer un malaise palpable, qui va crescendo. J’ai ri. Plusieurs fois (souvent, même). Je ne sais pas si c’est par compassion parce que j’ai eu les mêmes prises de consciences brutales que le dessinateur ou parce que ça fait un bien fou de voir les dessins de Blain sublimer des explications terriblement froides et réalistes de Janco (sa description faite par Blain en page 6 est à se pisser dessus, si on a déjà regardé une ou deux vidéos de JMJ).

Vous connaissez Jancovici ? Vous l’aimez ? Vous l’aimez pas ? Peu importe en fait… la mise en image de Blain, qui peut paraître parfois simpliste ou enfantine dans cet opus (mais c’est Blain, donc hyper efficace et terriblement sensible en même temps), est là pour dédramatiser, alléger. Plus que la mise en image (certaines sont succulentes), la mise en page des thèmes, sujets, graphes, est belle à tomber. Si seulement Janco pouvait les reprendre telles quelles dans des slides de conférence 😅.

Certes, ça ne fera pas taire la polémique Janco, « le pro-nucléaire » (y’a un long passage là dessus évidemment, les auteurs égratignent un peu les écologistes d’idéologie, c’est marrant). Il n’en reste pas moins que le propos est rendu cohérent par le fil conducteur des idées, et ce pauvre Blain qui se met en scène à travers les âges, tel un béotien découvrant l’eau en poudre – comme chacun de nous lors des prises de consciences de la profondeur du problème – permet en plus d’apprendre une foule de choses utiles, de ne pas se sentir à l’écart: le vrai héros de l’histoire, c’est lui, et on s’y identifie dès l’introduction.

J’ai été pas mal séduit par le chapitre se référant aux solutions proposées: loin de s’en tenir au constat et aux principes physiques & scientifiques, un partie du bouquin traite des ordres de grandeur des postes sur lesquels on peut agri: tout en nuance, en douceur, c’est là je pense, le réel attrait de ce roman graphique: celui qui s’en est pris plein la gueule pendant 163 pages va découvrir qu’il a le pouvoir de réellement changer le cours de choses, sans forcément renoncer à tout ce pour quoi il a passé sa vie !

Les 30 derniers pages sont savoureuses de nuances et mises en perspectives qui permettent au lecteur de ne pas finir l’ouvrage tétanisé, mais bien au contraire, boosté !

Un tout petit bémol (quand même), le développement de la pensée de Bohler sur base de son bouquin « Le Bug Humain »: il est présenté comme donnant des faits incontestables comme le reste de ce qui précède dans la BD, alors qu’on sait maintenant qu’il est loin de faire l’unanimité parmi ses collègues: ce n’est pas une théorie démontrée, mais juste une hypothèse qui est contestée par nombre de ses collègues. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’il a tort (il suffit de consulter les théories de Nicholas Georgescu-Roegen pour constater qu’il avait raison beaucoup trop tôt que pour remporter l’approbation de ses pairs), mais mettre son discours sur le même pied d’égalité que le reste des données me semble un parti pris moins fondé.

Mais peu importe, qu’on aime Janco ou non, qu’on aime la BD ou non, qu’on aime Blain ou non, on a ici un terrain fertile pour comprendre (avec la magie absolue du talent de Blain, j’ai quand même pris une fameuse claque graphique), se poser les bonnes questions et faire ses choix en fonction: le message est beau (et pas explicité, ce qui est encore plus beau). Nous ne sommes pas coupables de la situation. En revanche, un fois qu’on a compris de quoi il en retourne, nous sommes responsables de ce qu’on fait de ce savoir…

Moi qui lis sans doute plus de BD que d’essais, je suis conquis par la rencontre des deux mondes.

Dépêchez-vous de le commander car mon libraire semble avoir du mal à se le procurer 😅. C’est bon signe, très bon signe !

Ne le mettez pas sous le sapin: offrez-le, les yeux dans les yeux, de la main à la main, après l’avoir lu vous-même. A tous ceux que vous aimez.

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