mercredi , 19 février 2025

Les 5 stades de l’effondrement

Editeur: Culture & racines
Collection: Guides pratiques C&R
Parution: juin 2021
Format: Grand format
Dimensions: 21,1 x 14 x 2,5 cm
Pages: 448 pages
EAN13: 9782491861209

Lecture, par Raphaël Goblet (repris tel quel sur Facebook)

Les 5 stades de l’effondrement. Manuel du survivant – Dimitry Orlov, 2013, chez Culture&Racines (2021), 440 pages (écrit gros 😅).

Voilà un bouquin qui fait partie des références récurrentes dans l’univers collapso/effondriste, et qui revient souvent sous forme de mentions « d’autorité » ou de jolis schémas. J’ai donc décidé de m’y atteler, plein d’espoir de mieux comprendre et d’y chercher matière à réflexion. Ça m’arrive pas souvent mais j’avoue avoir été assez déçu (mais pas que !).

Non pas que ce qu’Orlov écrit soit inintéressant – très loin de là – mais je n’y ai pas trouvé un raisonnement qui m’ait convaincu du bien fondé de la « théorie » des 5 stades. Tout au plus une proposition qui relève plus de l’ordre d’une vague intuition qu’autre chose, rassemblant des idées qui collent au propos, sans proposer une réelle analyse ou en menant des recherches. Ne vous arrêtez pas ici: je ne soutiens pas qu’il ne vaut pas la peine d’être lu, mais que finalement cette théorie des 5 stades de l’effondrement n’est pas grand chose d’autre qu’une… théorie, agrémentée de longues (parfois trèèès longues) digression de sujets d’opinion qui n’ont pas de lien fort avec le propos (ou alors j’ai rien compris, c’est possible aussi) – mais pas indignes d’intérêt dans un autre contexte, et d’exemples concrets ne reflétant qu’en surface et de manière distante les propos qu’il veut illustrer (mais super intéressants malgré tout).

Petit récapitulatif des 5 stades, histoire de se rafraîchir la mémoire (je recopie bêtement ses introductions ci-dessous).

Toute référence à ce qui pourrait se passer actuellement n’est pas purement fortuite 😅, et c’est aussi en ça que le bouquin est loin d’être inintéressant: malgré un raisonnement assez léger et vague, ça colle plutôt pas mal à ce qu’on connaît ces derniers temps.

  1. L’effondrement financier: la croyance que les affaires continuent est anéantie. L’avenir n’est plus présumé ressembler au passé d’une manière qui permette au risque d’être évalué et aux actifs financiers d’être garantis. Les institutions financières deviennent insolvables; l’épargne est annihilée et l’accès au capital perdu. (Cas concret en exemple: l’Islande et la crise financière de 2008).
  2. L’effondrement commercial: la croyance que le marché pourvoira est anéantie. L’argent est dévalué et/où se fait rare, les marchandises sont amassées, les chaînes d’importation et de commerce de détail se rompent et les pénuries généralisées de denrées vitales deviennent la mode. (Cas concret en exemple: la mafia russe).
  3. L’effondrement politique: la croyance que le gouvernement prendra soin de vous est anéantie. Tandis que les tentatives d’accès aux sources commerciales de denrées vitales échouent à faire/créer une différence, la classe politique perd sa légitimité et sa pertinence. (Cas concret en exemple: les Pachtounes).
  4. L’effondrement social: la croyance que les vôtres prendront soin de vous est anéantie, tandis que les institutions sociales locales, que ce soit les organisations caritatives ou d’autres groupes qui se précipitent pour combler le vide du pouvoir, tombent à court de ressources ou échouent par des conflits internes. (Cas concret en exemple: les Roms).
  5. L’effondrement culturel: la foi dans la bonté de l’humanité est anéantie. Les gens perdent leur capacité de gentillesse, de générosité, de considération, d’affection, d’honnêteté, d’hospitalité, de compassion, de charité. Les familles s’éparpillent et, en tant qu’individus, se disputent les rares ressources. La nouvelle devise devient « puisses-tu mourir aujourd’hui pour que le puisse mourir demain ». (Cas concret en exemple – assez horrible: les Iks).

On sent bien qu’il y a comme une suite logique, même si les étapes ne sont pas forcément successives, peuvent se chevaucher, et durer plus ou moins longtemps. Mais l’énoncé semble assez intuitif au regard de ce qu’on connaît: la finance patauge à maintenir un semblant de croissance et peine à trouver de nouveaux subterfuges le pour camoufler, dès lors ils devient compliqué de financer des projets commerciaux (qui nécessitent ressources naturelles et transports opérationnels, ce qui coûte très très cher à mettre en exploitation). Les états eux mêmes commencent à manquer de moyens financiers, et comme la consommation chute et que la richesse des populations s’émousse, prélever un impôt efficacement devient difficile, d’autant que les populations manifestent leur mécontentement face à l’impuissance de l’état d’assurer leur subsistance (cela fait d’ailleurs pas mal écho à mon dernier résumé, « les conséquences du capitalisme » par Chomsky et Waterstone). C’est une suite assez logique d’évènements, qui semble difficile à contrecarrer une fois que ça a commencé ! Pour Orlov, en cas d’effondrement, il serait judicieux de tout faire pour s’arrêter là et ne pas passer aux deux stades suivants. A le lire, je pense qu’il trouve même souhaitable que les 3 premiers stades surviennent. Les stades suivants sont moins alléchants: toute aide extérieure à la famille, au clan, devient inexistante: plus de secours populaire, de croix rouge, … dès lors on ne peut compter que sur « le clan » des proches, voire très proches. Tout ce qui est étranger au clan est soigneusement évité (voire pire) et il devient quelque part le « drapeau » sous lequel se rassembler envers et contre tous. Mais la vie continue de devenir plus difficile, on en vient alors au dernier stade, le chacun pour soi, chacun sa merde, c’est l’individualisme qui prime sur tout, il n’y a plus de valeur morale autre que « je dois, moi, survivre », morale qui souvent est définie au niveau du vivre ensemble par la culture.

Très bien, en fait, ça se tient plutôt bien, et je pense que c’est la raison pour laquelle on accorde tant de crédit à sa thèse (moi compris!), mais cela reste du domaine de l’incantation, rien ne m’a convaincu que:

  1. convenait de considérer les étapes séparément. J’ai surtout l’impression qu’il s’agit d’un tout, inter-relié, non dans une succession (ou même chevauchement partiel) logique, mais bien d’un effet « systémique » en boucles de rétroaction.
  2. ce découpage soit efficient pour comprendre ce qu’il se passe et réagir en fonction. Il l’est pour décrire des événements ponctuels d’un domaine d’activité précis mais ne démontre en rien sa pertinence.

Qu’en est-il donc des propositions relatives au sous-titre: «manuel du survivant»? En fait, comme il l’écrit dans la postface, ce n’est en rien un « manuel » du survivant (pourquoi proposer ce sous-titre?). Tout au plus propose-t-il ses idées a lui (qui à nouveau ne sont pas dénuées d’intérêt, mais ne reposent en rien sur une réelle analyse) valables dans des cas et des lieux culturels et sociétaux particuliers.

  • Effondrement financier (selon moi déjà en route, et certain à moyen, voire court terme). Il faut avouer que sa critique du système d’usure et d’économie monétaire est assez pertinente. Une de ses propositions est de réguler, fortement, le taux d’usure largement en-dessous du taux de croissance. Une fois la croissance plate ou la décroissance atteinte durablement, plus besoin de le réguler, il s’arrêtera de lui même. Il propose également de se passer purement et simplement d’argent, et de procéder au troc généralisé. Un bel eugénisme un peu naïf, je pense. Quant à ceux qui ne savent quoi faire de leur argent en attendant qu’il se volatilise, il propose d’acheter des biens qui pourront s’échanger ensuite. Son exemple de l’Islande lors de la crise de 2008 lui sert de conclusion frappante au chapitre: « laissez mourir les banques ».
  • Effondrement commercial: son effet direct va être la sur-accumulation de biens de consommation, et un essor généralisé du marché noir (d’où l’intérêt pour ceux qui peuvent d’accumuler des valeurs d’échange autres que de l’argent). Il faut d’ailleurs s’attendre à devoir défendre ses biens accumulés, faire face au racket organisé, voire à l’apparition/renfoncement des mafias locales (d’où son exemple de la Mafia Russe).
  • Effondrement politique: le plus long chapitre, de loin, ou après de constations intéressantes (il vaut mieux pas d’état du tout qu’un état faible qui tente de maintenir ses privilèges par la coercition, partie la plus convaincante du bouquin selon moi), il entame un long monologue ou il fait l’apologie de l’anarchisme. Je dis apologie, parce qu’il se contente d’expliquer à l’aide de quelques exemples choisis bien à propos tous les bienfaits de l’anarchisme. J’aurais aimé plus de considérations d’ordre philosophique, démocratique, social, plus d’explicitation de ce qu’est réellement l’anarchisme, qui est une réelle philosophie d’un mode du vivre ensemble et non l’image populaire habituelle du « tout casser pour moins régner ». Bref, j’ai été un rien déçu de cette partie qui aurait pu être passionnante.
  • Effondrement social: il prône le retour à la « loi du clan » où les intérêts d’un proche sont les intérêts du clan. Tous pour un, un pour tous, mais pour ceux du clan seulement. Je suis farouchement opposé à cette vision un peu « survivaliste »: je doute que cela puisse fonctionner à moyen terme, et pense qu’une organisation plus large aura plus de chance de combler les besoins locaux. Je suis persuadé que l’échelle de quelques individus, 10, 20, n’est pas la bonne et ne peut mener qu’à de la violence exacerbée par le manque de presque tout, alors qu’une organisation à l’échelle régionale (a la limite, communale) permet d’assurer d’une part un approvisionnement de base suffisant et d’autre part des échanges commerciaux limités avec les régions connexes pour le surplus.
  • Effondrement culturel: c’est le règne du chacun pour soi. Je trouve qu’il est plutôt relativement enthousiaste à cette idée… ou réaliste, je ne sais pas. Selon lui, finalement, l’humain n’a pas forcément besoin d’un cadre culturel pour assouvir ses besoins élémentaires et vivre. Et c’est là que j’ai définitivement lâché son système de pensée… il n’y aurait finalement pas de honte, pas de réel souci, à se la jouer perso, quitte à exterminer (même avec un certain plaisir – la joie avec laquelle il semble admirer le renoncement sentimental des Iks m’a un peu fait peur 😛) son prochain. Certes il ne prétend pas qu’il s’agit d’une société idéale ou même désirable, mais qu’il ne serait, au fond, pas si grave pour l’humanité de devoir en passer par là, avant un éventuel mieux.

Malgré tout cela, pour lui, il ne faut pas avoir peur des effondrements, qui font partie d’un cycle naturel des sociétés humaines et de la nature (ce qui, en soi, n’est pas totalement faux), et énonce quelques lueurs d’espoir:

Il nous sera toujours possible, si on parvient à faire preuve d’un peu d’abnégation, d’éviter un stade ou un autre.

Les effondrement ne sont jamais définitifs, des rétablissements partiels, locaux sont possibles.

Et ma « leçon » préférée, à laquelle finalement j’adhère pas mal: il est bon de laisser une société malade s’effondrer pour pouvoir ensuite la reconstruire, en partie en tout cas, et sous d’autres modalités, une autre manière de « vivre ensemble ».

Bref, je n’ai pas aimé ce bouquin et en même temps, si, beaucoup. Les digressions, parfois longuettes, restent intéressantes pour réflexion et culture personnelle. Mais si vous avez peu de temps devant vous, vous ne trouverez sans doute pas dans ce bouquin de quoi « rentabiliser » votre temps. Et en même temps, rentabiliser systématiquement son temps n’est peut-être qu’un signe d’adaptation à un système malade 😉. Donc je recommande la lecture de cet ouvrage, ne fut-ce que pour s’ouvrir à une version des effondrements possibles et une vision de la manière adéquate d’y répondre (mais pas LA manière adéquate).

Ce bouquin me conforte en tout cas dans mes démarches quotidiennes d’expérimentation d’autres manières de faire, d’autres manières d’interagir (je gère notamment une monnaie locale sur ma commune, entre autres).

Plus nous testerons grandeur nature des alternatives (j’ai horreur de parler de « solutions »), plus nous aurons l’occasion de créer du sens et du lien, et plus, je le crois, nous pourrons proposer des réponses solides aux effondrements à venir…

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