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21 – Où une euphorie technologique peine à se matérialiser

Dernière modification le 1-6-2022 à 15:25:01

Le Monde, 27 janvier 2022. « Capter et stocker le CO2, solution d’avenir ou mirage ? », Planète, pp. 6-7

Chacun ou presque l’a compris : de la surexploitation d’énergies fossiles découle une prolifération de gaz à effet de serre directement responsables d’un réchauffement atmosphérique exigeant qu’on atteigne, d’ici 2050, une « neutralité carbone » – pour peu bien sûr qu’on espère maintenir des conditions d’existence à peu près viables sur la planète Terre. Mais comment influer sur certains décideurs quand rentrent en jeu des intérêts économiques proprement pharaoniques ? Parler de décroissance ? Qui donc, dans les hautes sphères industrielles, s’avère sérieusement prêt à entendre le message – donc à prendre le taureau par les cornes ? Aussi, à défaut de pouvoir remédier au problème en agissant à la source, entend-on toujours plus parler des prodiges d’une technologie capable de s’attaquer aux conséquences, à terme létales, de la grande débauche industrielle. Le captage et stockage en sous-sol du gaz carbonique finissant, en ce sens, par apparaître comme LA solution permettant aux méga-pollueurs de poursuivre sur leur lancée. Science ou science-fiction ?

À suivre les promoteurs du captage-et-stockage, la solution se trouve à portée de main… moyennant quelques actions parallèles telles que la plantation à large échelle d’arbres et plantes à croissance rapide (eucalyptus, peuplier, miscanthus…). Il s’agit de piéger le CO2 avant qu’il ne se répande dans l’atmosphère, puis de l’enfouir très longtemps.

Premier procédé avancé : le « lavage » des fumées émises par la combustion des ressources fossiles à l’aide d’amines dérivant de l’ammoniac. Petit bémol : très coûteuses, les installations impliquées consomment d’importantes quantités d’énergie. Afin donc de réduire ce surcoût énergétique on imagine, une fois le CO2 récupéré et comprimé, l’acheminer « par canalisation, bateau, train ou camion, parfois sur plusieurs centaines de kilomètres, vers des lieux de stockage » – le gaz carbonique étant alors injecté pour des centaines d’années dans le sous-sol, entre 1 000 et 2 000 mètres de profondeur, « dans des zones géologiques adaptées à un stockage de long terme : d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, des aquifères salins ou des veines de charbon, onshore ou offshore ». Seulement, comment imaginer pouvoir procéder à large échelle ? Aussi d’aucuns préconisent-ils plutôt de dissoudre le CO2 dans l’eau avant de l’injecter dans du basalte à une profondeur de 800 mètres – ce qui lui permettrait d’être transformé en « roches carbonatées solides en moins de deux ans, un processus qui prend des milliers d’années à se produire dans la nature ».

Bon, il serait aussi possible de réutiliser – plutôt que de stocker – ce CO2 que l’on injecterait dans des gisements d’hydrocarbures en sorte de récupérer davantage de pétrole et de gaz. Une sorte d’opération « win win », donc !

Reste pourtant qu’en dépit d’une certaine euphorie initiale, la filière ne se développe que très lentement par le fait de ses coûts exorbitants ; de l’absence d’incitations financières ou réglementaires ; d’un soutien politique plutôt orienté vers les énergies fossiles. Et puis, disons-le : sous quelque forme qu’elle se décline, la technique, qui rencontre une vive opposition de la part du public – en Europe surtout – est très fortement contestée par les associations environnementales. Des associations conscientes du fait qu’un tel mirage technologique n’est en rien propre à réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre. Qu’elle détourne les industriels d’une décarbonation devenue urgente. Qu’elle retarde la transition en prolongeant « la dépendance aux combustibles fossiles et, de manière perverse, augmente la production de pétrole ».

Ajoutez à cela les risques de fuite que le transport du CO2 fait planer au moment du transport (en Amérique du nord, le réseau des pipelines de CO2 devrait alors passer de 8 000 à 43 000 kilomètres d’ici 2050) ou du stockage. Autant dire que nous ne sommes encore pas débarrassés du risque que fait peser la dérégulation climatique. Ni du reste destinés – et heureusement peut-être – à camper sur une planète au sous-sol miné de peu rassurants réceptacles en tous genres !

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