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54 – Sommes-nous tou.te.s des « salopes, de sales putes » ?

Dernière modification le 24-3-2023 à 16:54:47

Le Monde, 20 mars 2023, « Les Gandhi du climat », L’époque, pp. 1-3, et autres échos.

En ouverture d’un récent et très recommandable essai intitulé Raviver les braises du vivant (Actes Sud / Wildproject, 2020), l’écrivain et maître de conférences en philosophie Baptiste Morizot déclare ceci : « C’est à l’intelligence collective que revient le combat, sous des visages à inventer, expérimenter, profiler, propulser. Mille initiatives se construisent à bas bruit ». Rien de plus juste, dira-t-on – du moins pour qui sentir et voir s’accumuler les preuves d’un délitement général des conditions de vie sur Terre inspire certaine urgence d’agir en commun. D’opposer, au cynisme massif de chevaliers de l’industrie pour qui le « retour sur investissement » fait figure de Graal, des actions collectives susceptibles de subvertir leur avancée. D’ainsi freiner la progression du désastre amorcé.

« Je me suis fait traiter de salope, de sale pute, par des hommes surtout »

Pareille foi en « l’intelligence collective », nul doute qu’en date du 11 novembre 2022, Camille, 27 ans, diplômée d’un master en sciences sociales, la partageait à l’instant de participer à son premier blocage de route, porte d’Ivry – un moyen parmi d’autres de sensibiliser tout un chacun à l’urgence climatique. Réactions immédiates de conducteurs frustrés : « Je me suis fait traiter de salope, de sale pute, par des hommes surtout ». Pour le coup : difficile ne pas se prendre à douter – fût-ce un moment – des pouvoirs qu’est censé procurer l’« intelligence collective », quand même celles et ceux qui courbent plus ou moins docilement la tête sous le harnais prennent, en quelque sorte, le parti des Goliath…

Cet épisode tout sauf glorieux, je l’extrais d’un article que, sur deux pages, Le Monde du 20 mars consacre aux activistes de Dernière Rénovation, un mouvement récent, en partie inspiré d’Extinction Rebellion et dont la revendication centrale consiste en la rénovation d’innombrables bâtiments qualifiés de « passoires thermiques ». J’y relève bien sûr l’exacerbation d’un sexisme qu’une infime contrariété – quelques minutes d’un immobilisme imposé à son véhicule – a tôt fait de propulser à un niveau d’abjection crasse : est-on fatalement une « salope, une sale pute » parce qu’on se préoccupe du bien commun ? J’y relève encore – outre l’indice d’une intolérance générale, d’une incivilité n’étant pas sans rapport avec les conditions de vie professionnelle qu’impose précisément le Capital (cadence, rendement, etc.) – cette précision qu’apporte Camille : « …par des hommes surtout ». En êtes-vous pour de bon arrivées là, Mesdames ?

Et pendant ce temps quoi ?

Dans l’édition du Monde du 22 mars, la « salope, la sale pute » qui rédige ces lignes – car enfin, que seraient donc les hommes qui agissent de même ? – relève que :

– le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui vient de publier la synthèse de huit ans de travaux – et selon qui près de la moitié de l’humanité vit désormais dans des « contextes hautement vulnérables au changement climatique » – entretient l’espoir ténu qu’il reste une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5o ;

– ce même GIEC constate que les mesures ne sont toujours pas à la hauteur et espère un sursaut international, estimant que les solutions sont à portée de main ;

– conscient que nous sommes confrontés à rien de moins qu’une « bombe climatique », Antonio Guterres perçoit dans ce rapport un authentique « guide de survie pour l’humanité ».

Visiblement, pas de quoi inquiéter bon nombre d’automobilistes surtout anxieux de voir une poignée de militants entraver leur avance. Pas de quoi non plus stimuler, en France, les juges de la chambre spécialisés dans les contentieux liés à l’environnement et de qui, depuis longtemps déjà, on attend qu’ils ouvrent le procès visant quatorze prévenus accusés d’avoir retardé jusqu’en 1997 l’interdiction de l’amiante – un matériau hautement cancérigène. En outre, que peuvent les propos du GIEC sur un président Biden qui, pour sa part, redoute d’être accusé de mettre en danger la sécurité énergétique nationale, et qui donc, « bombe climatique » ou pas, se livre à un grand revirement – considérant désormais d’un bon œil un projet de forage prévu en Alaska, car susceptible d’extraire à terme 40% de la production actuelle de l’État ? (En la matière, on se devra de préciser que ses administrés se voient très mal diminuer leur consommation énergétique qu’on jugera pourtant mirobolante.)

Au fil des jours, noté en outre que :

– à la suite du vote du 12 mars, la publicité continuera de fleurir partout dans la ville de Genève (24 Heures, 12 mars) ;

– en dépit des mises en garde des scientifiques sur l’impact néfaste de l’excès de viande sur notre santé et sur la planète, la consommation mondiale de viande continue d’augmenter (Le Temps, 17 mars).

Et pour finir avec une bonne nouvelle :

– la lutte contre le gaspillage alimentaire passant par un changement d’habitudes face aux invendus et aux dates de péremption, « afin de sensibiliser le monde politique à cette thématique, une opération a été organisée au Parlement, à Berne. Le restaurant du Palais fédéral proposait des menus préparés avec des aliments récupérés. Et certain.es élu.es ont osé goûter. » Authentique ! (RTS Info Suisse Good, 10 mars).

Sur quoi, lectrices, lecteurs, souffrez que l’humble chroniqueur d’Un air de famille aille prendre l’air à Thessalonique pour la durée d’un mois. Il ne devrait pas manquer de vous signaler si cet air-là est – ou non – respirable.

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