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40 – Le sport rattrapé par la crise climatique.

Dernière modification le 9-9-2022 à 15:16:02

Le podcast

Temps de lecture 7:10 minutes

 

Le Monde, 25 août « Des pelouses de Ligue 1 plus vertes que leurs clubs », Sport, pp. 14-15.

Serait-il justifiable que le sport échappe à l’obligation générale de se plier aux sacrifices que la crise climatique impose dans la plupart des secteurs de l’activité humaine – ce quitte à le contraindre de remettre en jeu son modèle économique ? Avant d’aborder la question, je m’autorise à un bref survol de quelques faits venus émailler la semaine en matière d’environnement.

– 30 août. Face à une sobriété énergétique promue au rang d’urgence, les pays européens ne font pas tous figure d’élèves modèles. Lois existantes mais peu appliquées en France. Mobilisation générale en Allemagne (dès le 1er septembre, limitation du chauffage à 19oC au sein des bâtiments publics ; portes des magasins fermées sur la rue ; publicités de ville éteintes entre 22 heures et 6 heures). Une Espagne qui se félicite des premières retombées de son plan d’économie d’énergie annoncé le 17 août. L’Italie qui annonce des mesures drastiques. Une Suède où, hormis les Verts, aucun parti ne veut de la parcimonie. La Pologne admettant à demi-mot ne pas en faire assez. En Hongrie, un Viktor Orban qui affirme à ses concitoyens que « passer l’aspirateur est interdit en Suède ». Et la Suisse, dans cela ?

– 30 août toujours. Conséquence de la fonte des glaciers et d’une mousson déréglée : la moitié du Pakistan est noyée sous les eaux. Depuis le mois de juin, on compte plus d’un millier de morts.  Pendant ce temps, au terme de deux nouvelles semaines de discussion (faisant suite à quatre autres sessions), les négociations autour d’un traité international destiné à préserver la haute mer butent sur la question du partage des ressources génétiques. Outre que Chine et Russie y ont fait preuve d’une résistance toute implicite, les divergences exprimées par des pays comme la Suisse, le Japon ou les États-Unis n’ont pas permis d’aboutir à un compromis sur les modalités d’une compensation financière à l’endroit des pays en développement ;

– 31 août. Les opérations visant à restaurer la biodiversité du Rhône s’avèrent altérées par d’anciens aménagements massifs tels ceux entrepris dès 1933 avec la création d’une Compagnie nationale du Rhône visant à exploiter le fleuve pour la production énergétique, la navigation et l’irrigation. Au total, dix-huit barrages allaient être érigés ;

– 1er septembre. Pour faire face à la chute des livraisons de gaz russe, l’Europe (de l’Est, principalement) renoue avec le polluant charbon – Pologne, Bulgarie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo et Serbie en tête. Pendant ce temps, la Chine fait tourner ses centrales au maximum, sa production de charbon étant passée, depuis le début de l’année, à 2,56 milliards de tonnes. Soit 11,5% de plus que durant la même période de 2021 ;

– 4 septembre.  Entre 2003 et 2005, soit peu après la fermeture d’un incinérateur d’ordures ménagères générateur de dioxines, le docteur Jean Lefebvre, médecin d’Halluin (département du Nord) s’inquiétait d’un nombre anormalement élevé de cancers du sein – « notamment chez des femmes jeunes, sans facteurs génétiques prédisposant ni comportements à risques ». Deux décennies plus tard, le maire de cette commune de 22 000 habitants reprend le relais en réclamant une étude épidémiologique. La demande de création d’un registre des cancers sur la commune ? « Elle est en cours de traitement par Santé publique France ». L’élu prévient : « C’est une question de santé publique, je ne lâcherai pas l’affaire ! »

À présent, venons-en au sport – un domaine observé avec toujours plus de vigilance par celles et ceux qui s’appliquent à mesurer les conséquences d’un usage disproportionné d’eau, d’énergies fossiles et autres biens de consommation. L’exemple de l’eau. À son propos, Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, a déclaré : « Quand on ne peut plus rien arroser nulle part, que tout le monde manque d’eau et que nos pelouses sont jaunes, pourquoi peut-on arroser encore les greens de golf ». Le cas du golf national de Guyancourt, dans un département français (les Yvelines) placé au niveau d’alerte “crise ”, donne en effet à réfléchir : bien que l’équipe se voit vue, depuis le 7 juillet, interdire de prélever de l’eau, son parcours baptisé « l’Albatros » reste au bénéfice d’une dérogation. Motif : l’accueil des championnats du monde amateurs par équipe à partir du 24 août, puis de l’Open de France fin septembre. Une raison défendable ? Certainement ! clame Lucas Pierré, superintendant du golf en question : « Si les stations-service pour laver les voitures sont ouvertes, je ne vois pas pourquoi nous n’aurions plus le droit d’utiliser de l’eau pour arroser nos parcours ».

Dans les domaines du football et du rugby professionnel également, les critiques tendent à se faire toujours plus nombreuses. Un Stade rennais Football Club pris, le 19 juillet et en plein jour, en flagrant délit d’arrosage illicite de ses terrains d’entraînements… l’affaire ne pouvait manquer de faire du bruit. « Une erreur », a reconnu le club. Or on sait bien que, sur ce plan encore, il sera toujours plus difficile de couper à l’effort de sobriété général qu’exige la situation. Amélie Oudéa-Castéra, ministre française des sports, n’a-t-elle pas envisagé jusqu’à l’interdiction des compétitions en nocturne, grandes dévoreuses d’énergies ? De quoi faire trembler foot et rugby : « Sans matchs le soir, les droits de télévision perdraient beaucoup de leur valeur ».

En plus des ressources consommées pour l’éclairage et l’entretien des pelouses (songeons à la débauche que s’apprête à générer la prochaine Coupe du monde de football au Qatar – événement dont la préparation a déjà couté la mort de 6 500 travailleurs migrants sur les chantiers de construction des stades), la facture énergétique s’allonge, liée à l’acheminement des supporters ; à la restauration sur place ; aux tonnes de déchets produits lors des événements de masse. Et puis – un exemple parmi d’autres –, que penser d’un footballeur tel que Karim Benzema (9 millions de salaire annuel) publiant une vidéo de ses virées en Ferrari, en 4×4, en jet privé et en jet-ski à Miami ?

Pointés du doigt, de nombreux clubs multiplient les initiatives vertes ; toutefois, « leurs actions tendent à être ponctuelles plutôt que structurées ». D’autres, comme le Paris Saint-Germain, ne manquent pas de se faire épingler : tournées estivales en Asie et hivernales au Qatar ; usage massif de l’avion, fût-ce pour de courtes distances ; lancement de trois ou quatre maillots chaque saison, etc. Or, pointe Ludivine Ducellier, auteure de l’enquête, il se trouve que la politique d’expansion des compétitions internationales de l’UEFA et de la FIFA ne va pas sans le sens d’une décroissance revendiquée : « Dès 2024, la Ligue des champions ajoutera 64 matchs aux 125 actuels, tandis que la Coupe du monde 2026 accueillera 48 sélections au lieu de 32 ».

De quoi plus encore lobotomiser les foules, maximaliser les bénéfices colossaux et rendre plus importune encore, aux yeux de nombreux fans, une crise qui, depuis un bon moment déjà, ne se contente pourtant plus de toquer à nos portes.

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