samedi , 27 juillet 2024

La révolution agroécologique

Le podcast

Temps de lecture 13:58 minutes

 

Lecture, par Raphaël Goblet (repris tel quel sur Facebook)

Nourrir tous les humains sans détruire la planète

Édition écosociété – 2021 – 294 pages

La première fois que j’ai entendu parler d’Agroécologie, c’est dans le bouquin de Charles et Perrine Hervé-Gruyer, « Vivre avec la Terre » et les méthodes utilisées dans leur ferme du Bec-Hellouin (que j’ai pas lu jusqu’au bout mais je vais m’y remettre).

Quand je suis tombé sur ce bouquin par hasard dans ma librairie préférée, j’ai donc pas hésité longtemps !
[⚠ Désolé pour la longueur (ce bouquin est dense en infos) et pour les quelques lieux communs que beaucoup ont sans doute déjà assimilé 😛. Ce n’est pas non plus un résumé complet, mais un récap dans les grandes lignes pour que vous décidiez de le lire, ou non ⚠]

Alain Olivier est québécois et fait partie de ce type de personnes que j’aime bien: ceux qui ont commencé leurs études et leur vie bien dans le moule industriel (A. Olivier est ingénieur agronome de formation) et qui, au cours de leur parcours, sont parvenus à remettre en question l’enseignement et les pratiques en vigueur sur base de leurs observations, du bon sens, et d’un constat accablant: ça ne fonctionne pas toujours aussi bien qu’on veut bien le dire (dans le même genre, il y a aussi Philippe Bihouix, ils écrivent d’ailleurs un peu de la même manière, c’est amusant).

Ici notamment, c’est l’industrie agroalimentaire qui est visée et surtout critiquée de manière constructive (il n’est pas question de la descendre d’une pièce mais bien d’en proposer une analyse critique et surtout d’y opposer des alternatives crédibles et éprouvées).

Il ne s’agit cependant pas d’un bouquin anti agro-industriel mais bien d’un recueil de propositions viables répondant à ses divers inconvénients (pour rester poli. J’aurais pu dire « apocalypses sanitaires, sociales, économiques et environnementales »). Il ne s’agit pas non plus d’un guide, d’un mode d’emploi d’agroécologie, mais bien d’exposer les grands principes fondateurs de celle-ci, sous tous ses aspects, et de montrer comment (et c’est assez convaincant !) elle peut répondre de manière particulièrement adéquate aux défis et enjeux actuels – et futurs.

L’agroécologie, c’est quoi ?

D’abord, et ce n’est pas anodin, il n’y a pas de définition précise et unanime (on y revient après), bien que 3 grands principes soient communément admis:

✅ C’est une discipline scientifique qui étudie les relations entre l’agriculture, l’écologie et la société.
✅ C’est un ensemble de pratiques qui vise à atteindre un équilibre dynamique au sein des agro-écosystèmes afin d’assurer leur soutenabilité et d’augmenter leur résilience.
✅ C’est un mouvement social qui cherche à construire des systèmes agricoles alimentaires plus justes pour l’ensemble de la société.

L’agroécologie ne s’intéresse donc pas uniquement à la production agricole mais au système alimentaire dans son ensemble: comment les humains s’organisent pour produire, transformer, distribuer, entreposer et consommer leur nourriture, et comment elle gère les externalités de cet ensemble.

Ensuite, l’agroécologie – et selon moi c’est un de ses intérêts majeurs – ne prescrit pas de méthode toute faite et adaptable partout, d’où la difficulté d’en donner une définition précise. P.50: « Elle est résolument contextuelle. Elle est par le fait même adaptable, c’est à dire que les pratiques agroécologiques doivent être adaptées au contexte particulier dans lequel elles sont mises en œuvre. Elle se construit donc au fil du temps dans un rapport de réflexivité par rapport à la pratique ».

C’est une des clés qu’apporte cette discipline par rapport à l’agro-industrie: cette dernière a la fâcheuse habitude de prescrire un ensemble de pratiques toutes faites transposable partout dans le monde (grâce à un « paquet technologique » qui prend ses origines dans la révolution verte entamée dans les années 60: semences uniformes (entendez au niveau génétique), les intrants chimiques et les « -cides » (fongicides, insecticides, herbicides, …) nécessaires pour pallier à leur inadaptation à l’environnement dans lequel elles sont semées). En gros elle se veut « savante » de ce qu’il faut faire pour produire beaucoup et uniforme (ce qui est nécessaire pour l’utilisation de la machinerie lourde indispensable au travail de « gros »), partout tout le temps.

A l’inverse l’agroécologie, qui ne renie pas le savoir scientifique bien au contraire, propose plutôt de revenir à des pratiques, savoirs et semences adaptées à l’environnement dans lequel on travaille (et donc fatalement fort différentes d’un bassin de vie ou d’une région à l’autre). Ainsi la science n’est plus « prescripteur de pratiques » mais bien un accompagnateur du savoir des paysans et paysannes, qui doivent redevenir le centre névralgique du système alimentaire global !

Tous les paysans et paysannes (appelez-les producteurs, agriculteurs, peu importe; le terme « paysan » se rapporte de manière très juste à l’aspect local, le « pays » habité) ne sont pas dans la même logique bien entendu. Un des points forts de ce bouquin est le respect fondamental que l’auteur accorde à tous les producteurs, peu importe la méthode qu’ils utilisent. Il insiste sur le fait que le problème, ce ne sont pas les gens qui cultivent la terre mais bien l’ensemble des pratiques que l’agro-industrie est parvenue à leur imposer, comme étant la seule manière de faire, et ainsi les enfermer dans un système dont il est difficile de sortir, qui les appauvrit eux, mais aussi les sols, les paysages, la biodiversité, etc.

Les enjeux de l’agroécologie.

On l’a vu, elle ne s’intéresse pas qu’à la production de nourriture mais à l’ensemble de l’organisation du système alimentaire global. Elle se propose de répondre à plusieurs enjeux auxquels l’agro-industrie est bien incapable de répondre durablement (le bouquin explique d’ailleurs bien comment, dans les grandes lignes, de manière assez crédible et avec force d’exemples concrets).

Commençons par les enjeux environnementaux:

  1. la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour tous les êtres humains de la planète. Ça peut paraître trivial voire idiot dit comme ça, mais il faut bien constater que l’agro-industrie n’a pas tenu ses promesses d’une nourriture en suffisance ET ayant les caractéristiques nutritionnelles adéquates. Plus de 800 millions de personnes sur la planète ne mange pas à sa faim, plus d’1 milliard d’humains souffre de carences alimentaires ou troubles physiques liés à l’alimentation (obésité, diabète, …). L’agroécologie propose donc toute une série de concepts pour produire des aliments en quantité ET en qualité (voir les liens en bas d’article).
  2. la santé des sols. L’industrie agroalimentaire considère finalement les sols comme un simple support inanimé pour ses productions, et déverse les produits de synthèse ad hoc pour que ça pousse. Or il est maintenant largement prouvé que les sols sont bien vivants, au sens littéral ! C’est cette vie précisément qui permet de faire pousser notre nourriture – pour autant que les variétés soient adaptées aux propriétés de ces sols. Reconstruire la vie des sols est donc une des priorités de l’agroécologie.
  3. l’eau, en quantité et qualité. L’agro-industrie ne se gêne pas pour pomper de l’eau d’un côté et d’un autre la rendre impropre à son utilisation (pollution aux nitrates et j’en passe). La gestion de l’eau est d’une importance capitale, et passe notamment par l’agroforesterie (qui semble être une des méthodes les plus prometteuses !).
  4. La biodiversité, exterminée par la monoculture massive et les intrants de synthèse, pourrait pourtant – pourvu qu’on lui offre l’habitat et la nourriture nécessaire – jouer précisément le rôle de régulateur naturel des ravageurs et adventices. Restaurer les équilibres écologiques de la biodiversité et maintenir leur condition de bonne santé sont au cœur du projet agroécologique.
  5. Le bien-être animal. L’agroécologie n’est pas Végane (désolé !), bien au contraire: elle intègre parfaitement les animaux dans son projet, mais pas forcément pour leur viande: ils rendent toute une série de services (fertilisant, laine, travail physique, élimination des nuisibles, …) qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur. En échange, une attention particulière est donnée aux conditions de vie de ceux-ci.
  6. Le changement climatique. Le système agroalimentaire actuel a un impact majeur sur le climat (pétrole pour les machines, azote, méthane, production d’intrants artificiels, chaîne de distribution, …). L’agroécologie ne propose pas le retour au « tout à la main », même si la main d’œuvre agricole devra fatalement augmenter, mais un retour massif à la production locale chaque fois que c’est possible (et la reconnexion entre ceux qui produisent et ceux qui mangent par la même occasion), à l’élimination des intrants de synthèse, à l’agroforesterie, … Toute une série de principes sont proposés pour d’un côté limiter le changement climatique, voire même l’atténuer (séquestration des carbone) ainsi que pour s’y adapter d’un autre côté.
    A côté de ces enjeux environnementaux, il convient d’ajouter des enjeux sociaux, économiques et politiques :
  7. le coût de la production agricole. On dit souvent que la « bonne nourriture » coûte bien plus cher que la « mal bouffe ». En regardant le ticket de caisse, c’est sans doute vrai (et encore, vraiment pas toujours !). C’est oublier toute une série d’éléments insidieux:
    – L’agriculture industrielle maintient les paysans et paysannes dans la pauvreté, quand elle ne les y propulse pas. Le coût en aides, allocations, subsides devrait donc être ajouté au coût perçu par le consommateur !
    -Elle provoque en sus toute une série d’externalités négatives qui ne sont pas prises en compte dans le coût « ticket de caisse »: changement climatiques (déjà évoqué), traitement des eaux sales et polluées, dépenses publiques en soins de santé (quand ça existe!) pour soigner obésité, cancers, diabètes, …), la gestion des déchets (emballage, gaspillage alimentaire, …). Tous ces coûts doivent – ou devront – être assumés par la collectivité, donc les impôts, donc notre argent, de toute manière.L’un dans l’autre donc, il se trouve que l’agriculture qui détériore santé et environnement n’assume en rien le coût pour la collectivité qu’elle génère directement. Si on lui demandait d’en assumer les coûts, sa rentabilité (et donc son prix ticket de caisse) en prendrait forcément un gros coup ! A l’inverse, si l’on déduisait l’ensemble des services sociaux, écologiques et sanitaires rendus par l’agroécologie, nul doute que la balance pencherait nettement en sa faveur !
  8. (8 et 9) Je passe rapidement sur les aspects inégalitaires Nord/Sud (on produit dans le Sud de quoi nous nourrir ou faire rouler nos véhicules, on leur revend bien cher nos produits transformés en échange, ce qui les maintient dans une extrême dépendance au système et une grande pauvreté), Hommes/Femmes (la majorité des terres et fruits des productions agro-industrielles sont détenus par des hommes) que le système agro-industriel exacerbe, voire encourage, mais sachez que ce bouquin est résolument féministe (écoféministe, même) et entend dénoncer l’éco-colonialisme généralisé, en filigrane à travers l’ensemble des pages.

Je ne détaille pas ici les aspects concrets, explications de fond (savoirs et études scientifiques, exemples, …), à vous d’aller y puiser, mais voici la liste des thématiques (chacune fait l’objet d’un chapitre) pour lesquelles le bouquin détaille les pratiques de terrain souhaitables et les pratiques agro-industrielles à remettre en cause :
Rétablir la vie dans les sols 🔸 Gérer l’eau (explications intéressantes en lien avec l’agroforesterie) 🔸 Utiliser au mieux la lumière solaire (là, j’ai appris des trucs neufs !) 🔸 Rétablir, entretenir, soigner la Biodiversité 🔸 Atténuer le changement climatique (là aussi j’ai eu des surprises) et s’y adapter 🔸 Laisser sa place à l’élevage (sujet sensible!) 🔸 Manger à sa faim et vivre en santé 🔸 Déprivatiser les semences, l’eau, les terres 🔸 Valoriser l’expertise de paysans et paysannes 🔸 Reprendre possession de son habitat/environnement/territoire 🔸 Prendre en compte la dimension Politique de l’alimentation.

Ce bouquin a une dimension résolument politique, ce que l’agroécologie revendique par ailleurs. Il n’y aura pas de transformation du système alimentaire sans volonté politique, décisions fortes et courageuses. Il faudra cependant prendre garde aux récupérations idéologiques et partisanes qui conduiraient nécessairement à la création d’un ensemble de normes et cahiers de charges précis, tout ce que l’agroécologie n’est pas !

C’est donc à une « révolution » sociale, paysanne, politique, culturelle mais surtout diverse et adaptée aux différents biotopes qu’appelle ce bouquin, afin de :
✅ privilégier les pratiques durables au détriment des pratiques destructrices ; et faire assumer à ces dernières les coûts des dégâts engendrés.
✅ rendre la propriété du Vivant (semences, espèces animales, terre cultivées, forêts, eau douce, …) à l’humanité (ou plutôt abolir toute forme de propriété du vivant, comme ça a été le cas depuis toujours, jusqu’à l’arrivée de la financiarisation et privatisation de l’agriculture de la révolution verte) et non à quelques groupes privés.
✅ permettre à chacun d’avoir accès à une alimentation diversifiée, en quantité et qualité nutritionnelle suffisante.
✅ rapprocher les « mangeurs et les mangeuses » des paysans et paysannes.
✅ remettre les paysans et paysannes au centre du système alimentaire, et non les considérer comme une « variable » du système alimentaire.

L’agroécologie propose donc un modèle d’organisation global, complet, durable, adaptable et mouvant. Nous avons peu d’autre choix que d’aller dans cette direction, sur un chemin bien sûr long et compliqué, mais qu’il convient d’emprunter sans tarder… tous ensemble !
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Quelques ressources que je vous conseille, entre autres, pour aller plus loin (y’en a plein d’autres, mais celles-là je les ai lues/vues) :

📗 Vers la résilience alimentaire, les greniers de l’abondance.
📗 Vivre avec la Terre, Charles et Perrine Hervé-Gruyer.
📗 Les limites à la croissance (dans un monde fini), Dennis & Donella Meadows et Jorgen Randers.
📗 1%, Vandana Shiva.
📗 Reprendre la terre aux machines (bon, je l’ai pas lu mais je vais le commencer, c’est le prochain sur ma pile).
💻 Cash investigation (industrie agro-alimentaire & multinationales): www.youtube.com/watch?v=Mgd0_jv6TS4 et www.youtube.com/watch?v=7RXHDEi79EI

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