mercredi , 24 avril 2024

Illusion financière

Dernière modification le 29-12-2022 à 17:37:04

Lecture, par Raphaël Goblet (repris tel quel sur Facebook)

« L’Illusion financière, des subprimes à la transition écologique ».

Gaël Giraud, Les éditions de l’atelier, 2012, 249 pages.

Lisibilité: ★★★★☆
Accessibilité: ★★☆☆☆
Qualité des infographies/photos: ★★★☆☆
Note Générale: ★★★★☆

Un château de cartes financier reposant sur vent et mensonges ne peut que s’écrouler.

Attention c’est un peu long, mais si t’es pas familier de la finance, comme moi, y’a des surprises un peu scandaleuses.

Voilà un bouquin qui m’a donné du fil à retordre ! N’étant pas vraiment familiarisé avec les principes économiques, financiers et comptables, j’ai bien transpiré… Même si Gaël Giraud est un fin vulgarisateur, il expose ici des concepts qui, s’ils ne sont pas familiers, demandent un peu de recherches (et de notes !). Heureusement, je me suis déjà intéressé pas mal au sujet via mes activités de Monnaie Locale (notamment sur base d’excellents ouvrages de Bernard Lietaer ou de Financité), donc certains concepts m’étaient familiers, mais pas tous loin de là. Merci dès lors d’excuser certaines approximations et raccourcis dans ma note, d’autant que le contenu du bouquin est extrêmement riche : Giraud n’affirme rien sans passer du temps à justifier et démontrer systématiquement ses affirmations, de manière convaincante d’ailleurs ! Soit sur base d’exemples concrets ou d’expériences de pensées, rien n’est laissé au hasard ou à l’interprétation du lecteur (ce qui ne veut pas dire qu’on soit de facto d’accord avec lui hein). Bref, un ouvrage cohérent de bout en bout, et j’ai vraiment appris énormément de choses sur le fonctionnement de la finance, de l’économie et de la monnaie ! Et y’en a des vertes et des pas mûres… Note quand même : ce bouquin date de 2012, donc certaines choses ont peut-être évolué depuis…

Les amateurs de décroissance seront déçus – ce n’est de toute façon nullement l’objet du bouquin – et Giraud ne s’est jamais révélé ouvertement partisan du concept, de toute manière. Il admet cependant volontiers que la « croissance verte » est un mythe, bien qu’il soit parfaitement possible de rediriger les efforts du monde financier vers la transition énergétique, qui devra de toute manière être financée à un moment donné et devenir une réalité, qu’on y ajoute de la sobriété ou non, qu’on se positionne sur la croissance ou non ! Mais cette redirection ne se produira pas si on laisse « les marchés » en décider, il faudra imposer contraintes, règles et interdits pour que ce soit faisable, et donc sortir des illusions qui rendent les efforts de régulation totalement à côté de la plaque !

Son bouquin, en 11 chapitres qui prennent pour point de départ le krash de 2008, démonte les mécanismes pervers qu’il faut à tout prix éliminer, dénonce une série de mensonges structurels que le monde bancaire et politique est obligé de soutenir pour éviter un effondrement total du système, pointe du doigt une série d’illusions – souvent de bonnes excuses en fait – qui sont invoquées, parfois de bonne foi, souvent par intérêt, par le monde bancaire et institutionnel. Enfin, il en arrive à proposer une série de mesures faisables techniquement pour lesquelles il « suffirait » d’une volonté politique suffisamment résistante aux lobbies financiers pour être mises en place. De toute manière son message est extrêmement clair : poursuivre comme on le fait actuellement mènera tout le monde à la banqueroute aussi sûrement que l’inaction climatique, pour ne prendre que cet exemple.

Allons-y !

Crise des subprimes, pyramide de Ponzi, effet levier et domino [1]

Tout le monde se souvient de la crise des subprimes en 2008 : des prêts hypothécaires avaient été donnés allègrement sans vérifier que les montants pourraient effectivement être remboursés. L’astuce à l’époque tenait compte des taux d’intérêt très bas, et donc les acquéreurs de ces crédits se sont vu promettre de nouveaux crédits pour rembourser les premiers sur base de l’hypothèque de leur bien acquis (ce bouquin est rempli d’histoires de Shadoks !). Et donc, tout le monde en sortirait gagnant, sur base d’une gigantesque pyramide de Ponzi (sur laquelle repose par ailleurs l’ensemble de notre économie : les crédits étant remboursés par de nouveaux crédits). Bon, pas de bol, les taux sont remontés, le système n’était plus viable, de nombreux ménages se sont vu refuser les nouveaux crédits promis, et ont été obligés de laisser leur logement aux banques qui ont dû faire face à une plongée vertigineuse des prix de l’immobilier. L’histoire aurait pu s’arrêter aux organismes prêteurs (après tout, c’est leur problème s’ils ont commis des imprudences), mais cela s’est rapidement transformé en crise planétaire. Pourquoi ?

  • La titrisation : c’est une créance transformée en actif et échangeable sur les marchés. En gros quelqu’un « vend » un remboursement futur à un autre contre paiement, l’acheteur bénéficiant des remboursements, mais aussi du risque de défaut de remboursement.
  • Le tranching : en fait, les créances ainsi transformées ne sont pas vendues telles quelles, mais bien dans un « mille-feuille » d’une multitude de créances : un CDO, collateral debt obligation. Certaines de confiance, d’autres plus louches, mais les acheteurs espèrent bien que les meilleures compenseront les moins bonnes. Il faut souligner que ces mille-feuilles sont notés Triple A par les agences de notation… En 2007, ce type de produit était évalué à 470 milliards de dollars.
  • Le problème de tout cela outre le fait que beaucoup de feuilles de ce mille-feuille se sont avérées pourries, une grande partie de ces produits et bien d’autres d’ailleurs étaient vendues elles-mêmes sur base de garanties d’hypothèques en subprime. C’est l’effet levier de collatéral : par exemple, le fait d’acheter une maison permet ensuite d’accéder à un crédit sur base de la valeur de cette maison : le crédit ainsi créé est appelé un « collatéral ».
  • Ce qui fait qu’en 2008, ce n’était pas moins de 1.400 milliards de dollars qui étaient exposés au risque !

Bref quand en 2008 le risque est apparu devenir une réalité, beaucoup d’institutions bancaires se sont rendu compte que les mille-feuilles qu’elles avaient achetés contenaient, sans qu’elles ne le sachent vraiment, beaucoup de feuilles pourries. Beaucoup trop, en fait. Et c’est l’effet domino : plus personne n’en veut, tout le monde veut vendre rapidement et pour cela, c’est la grande braderie, on baisse le prix. Les portefeuilles ne valent plus grand-chose et c’est le krash !

Déjà ici on sent qu’il y a nécessité d’encadrer strictement la titrisation, qui déresponsabilise l’organisme prêteur : puisqu’il vend sa créance, qu’elle soit remboursée ou non ne le concerne plus. En gros, en vendant une promesse de remboursement, on transforme la confiance qui lie un prêteur à son client en une simple marchandise…

Giraud ajoute que l’idéologie américaine de l’époque du « tout propriétaire » a beaucoup contribué à la construction de cette vaste pyramide aux fondations d’argile.

Cette crise était-elle prévisible (et la question, elle est vite répondue !) [2]

Au final, la crise de 2008 aura fait perdre (tenez-vous bien) 25.000 milliards de dollars aux banques ! Comment peut-on passer à un risque exposé de 1.400 milliards à une perte de 25.000 milliards ?

La réponse tient en trois lettres : les CDS (Credit Default Swap), un produit financier particulier au monde financier, qui est par ailleurs parfaitement interdit pour le commun des mortels dans l’économie réelle. Un CDS, en gros, est une assurance qu’on prend sur un crédit. S’il n’est pas remboursé, c’est l’assurance qui paye. Jusqu’ici, tout va bien… Mais ces CDS ont deux principes pervers (et très lucratifs) :

  • Les positions à nu sont parfaitement communes : il s’agit de s’assurer contre un risque que l’on ne porte pas (essayez de le faire, par exemple en vous assurant contre le risque que la maison de votre voisin parte en fumée : il y a fort à parier que ça ne marche pas).
  • Il est parfaitement possible de s’assurer plusieurs fois contre le même risque (et ça non plus, en tant que parfait quidam, ce ne sera pas possible).

En d’autres termes, beaucoup d’acteurs financiers avaient tout intérêt à ce que des crédits ne soient pas remboursés, puisqu’ils toucheraient plusieurs fois la mise sans n’avoir jamais supporté aucun risque ! Et tout cela étant parfaitement dispensé de contrôle puisqu’il s’agit de fonds spéculatifs qui n’apparaissent pas dans les bilans des banques et donc non soumis aux ratios bancaires (on y reviendra plus loin). Mais les dégâts sont colossaux : la planète a remboursé, à cause de ce mécanisme, 50x les assurances de Lehman Brothers, par exemple.

Le mécanisme est par ailleurs également utilisé pour parier sur les dettes des états ! Bref, des fonds prennent des assurances qu’ils touchent si un état fait défaut sur sa dette… la notion de « bon père de famille » semble bien loin.

Au final, le monde financier reste le secteur le plus endetté, suivi par celui des entreprises et enfin des états. La dette du monde financier stagnait depuis les années 1990, et est repartie nettement à la hausse juste après… le Krash ! Bref, tout le monde tente de réduire sa dette, sauf le secteur financier, qui essaye de se « refaire » en se réendettant massivement. Il n’a rien appris du tout (et c’est assez normal puisque s’il perd, c’est le contribuable qui essuie les plâtres).

Si l’Europe veut s’attaquer à la dette et la faire diminuer, il convient d’abord se s’attaquer à la régulation de la finance. Continuer de faire grossir la pyramide de Ponzi nous voue tous à l’échec (et à la répétition du passé) : continuer à s’endetter toujours plus pour rembourser plus de dettes va fatalement prendre fin à un moment donné, et nous assisterons à un nouveau Krash. C’est le même phénomène qui se reproduit encore et encore, via des produits financiers si complexes que seuls les ingénieurs qui les ont élaborés sont capables de les comprendre (et même pas leur hiérarchie). Donc oui, le krash était prévisible, tout comme le prochain !

Mais les marchés financiers sont-ils efficaces ? [3]

Poser la question, c’est presque y répondre… Le fonctionnement des marchés est souvent associé à l’histoire des taches solaires : imaginons qu’au JT on annonce que des taches solaires sont apparues en nombre anormal sur le Soleil, et que cela risque de provoquer un effondrement de la valeur de certains actifs. Il n’y a bien entendu absolument aucun rapport entre les deux, et la plupart des financiers en sont conscients. Mais la réalité du monde n’a que peu d’importance dans la finance, ce qui compte est d’anticiper la réaction des autres, qui eux-mêmes agiront en réaction à ce qu’ils imaginent que vous allez faire (vous suivez ?). C’est une sorte de prophétie autoréalisatrice : les acteurs des marchés vont penser que les autres pensent que les valeurs vont baisser, donc vendent. Voyant cela, les autres vont vendre aussi, avec pour résultat une baisse des valeurs !

Les prix sur le marché ne reflètent donc en aucune manière une quelconque réalité fondamentale, ça ne repose sur absolument rien de concret, seulement sur la perception des uns et des autres des réactions des uns et des autres.

Un autre aspect critiquable est l’effet levier : en phase haussière (bullish), les optimistes s’endettent pour investir, c’est l’effet levier. En phase baissière en revanche (bearish), plus personne ne veut prêter à personne, le levier s’effondre, et on a un credit crunch.

Cet effet levier est dévastateur : plus ça monte haut en phase haussière, plus la chute est brutale et profonde en phase baissière. Lors de la crise de 2008, le monde financier a perdu, en 6 mois, 7 années de capitalisation boursière. Il est donc absolument urgent de lutter contre cet effet de levier !

Tout cela amène Giraud considérer non pas une, mais 3 illusions, touts liées entre elles, dont il faut absolument sortir pour assainir le fonctionnement de la finance :

  • L’illusion monétaire : croire que des prix qui baissent augmentent le pouvoir d’achat. Des prix en baisse, ça va souvent avec des salaires en baisse, un désinvestissement (à cause du credit crunch), et donc en fait une baisse relative du pouvoir d’achat. On y reviendra plus loin.
  • L’illusion économique : croire que l’économie est soumise à des lois intangibles dont personne ne peut sortir, car tout le monde y est soumis.
  • L’illusion financière, enfin : penser qu’on est dans une prospérité en phase haussière est trompeur, car plus on monte haut, plus dure est la chute !

Les marchés financiers ne fonctionnent pas, ils réagissent émotionnellement au moindre rayon de soleil ou à la moindre tache solaire. Rien n’est régulé d’en haut, et l’autorégulation ne fonctionne pas non plus : tant qu’il y a du blé à se faire, on s’en fait un max. Dès que le risque devient visible, plus personne n’a confiance en personne.

Et la transition écologique, dans tout ça ? [4]

On va avoir un gros souci… pendant la plus grande partie du siècle dernier, la croissance économique des pays industrialisés a été due pour majorité au l’augmentation de la consommation d’énergie fossile par habitant. Sur les 3% de croissance en moyenne, 2% provenaient de là. Le % restant résultant de progrès technologiques. Depuis le 2ème choc pétrolier, en 1979, la consommation d’énergie fossile par habitant n’augmente quasi plus…

De toute manière, poursuivre une croissance carbonée serait du suicide, et le petit pour cent de croissance auquel on peut encore prétendre sans cela ne règlera pas l’endettement privé.

Cependant, selon Giraud, financer la transition écologique (et non la croissance verte, il ne faut pas confondre les deux hein !) pourrait nous permettre de conserver une certaine croissance :

  • Rénovation thermique des bâtiments
  • Revoir tout le réseau de transports (plus compliqué, car les infrastructures existantes sont contraignantes)
  • Décarboner au maximum la production d’énergie
  • Réapprendre à produire local (réindustrialisation relative de nos régions) : avec une énergie plus chère, les importations deviennent plus compliquées, il faut donc relocaliser un maximum.

Le CNDTE (conseil national du débat sur la transition écologique) propose ceci :

  • Viser -2%/an de consommation énergétique
  • Diversifier un maximum la production d’énergie
  • Impliquer beaucoup plus les territoires dans les projets locaux
  • Inventer des dispositifs de financement innovants.

Mais quel serait le prix de la transition ? Je vous passe les détails des estimations, mais il serait en Europe d’environ 3.000 milliards d’euros sur 10 ans. Sachant que les banques ont reçu en sauvetage environ 4.000 milliards d’euros depuis 2008 et qu’entre les seuls mois de décembre 2011 à février 2012 elles ont reçu 1.000 milliards d’euros de la BCE (qui n’ont été injectés dans l’économie réelle que pour une partie congrue), un détail saute aux yeux : la transition coute moins cher que de sauver les banques de leurs propres imprudences ! Le problème est que plus on attend, plus la facture de la transition sera élevée… Et force est de constater qu’on a bien du mal à trouver des sous pour ce défi inouï, alors que pour permettre aux banques de trouver de quoi recommencer à zéro, les sous tombent tout seuls (ou même pour trouver de quoi soutenir l’économie en période de confinement :p).

Pourrait-on créer tout cet argent à partir de rien, ex nihilo ? [5]

OUI. Il suffirait de le décider. En fait, les banques le font tous les jours : en prêtant de l’argent qu’elle n’a pas, une banque créer de la monnaie à partir de rien… Les banques sont d’ailleurs les seules à avoir ce pouvoir, il n’est plus aux mains des états et ne repose que sur du vent depuis la fin des accords de Bretton Woods dans les années 70 (abandon de l’étalon-or et remise des clés aux marchés).

Or les banques prétendent l’exact contraire. Pourquoi ? Selon elles, elles ne peuvent émettre plus de crédit que ce que leur autorisent ses réserves propres et son capital. Et c’est parfaitement inexact ! D’une part une banque peut très bien titriser une créance (voire plus haut) et hop, ça sort de son bilan, et paf, elle n’a plus à respecter les ratios. D’autre part (et surtout !) parce que les banques ne vérifient pas à l’avance ce qu’elles sont autorisées à prêter, mais ajustent après coup leurs réserves.

Et c’est précisément là que le bât blesse pour elles : elles peuvent parfaitement émettre des crédits ad libitum (pourvu qu’ensuite elles empruntent les réserves nécessaires à la BCE), mais à un moment donné, un crédit supplémentaire va excéder le rendement qu’elle en attend (à cause de son emprunt de réserve à la BCE)… et elle va donc gagner un peu moins d’argent ! Bref, si les banques ne créent pas de crédit autant qu’elles le veulent, ce n’est pas parce qu’elles ne le peuvent pas, mais bien parce qu’elles ne feront plus autant de profit !

Et de plus, pour qu’une banque émette un crédit, faut-il encore que quelqu’un ait envie de lui emprunter cet argent : c’est pourquoi les banques et les financiers travaillent main dans la main :

  • Dis, gros, j’ai besoin de x millions pour un investissement y.
  • Ouais pas de souci, hein fieu, attends je tapote mon clavier…. Voilà c’est sur ton compte !

Donc, les banques nient leur pouvoir de création monétaire en sa cachant derrière un contexte international difficile, derrière Bâle III (qu’elles contournent de toute façon avec une facilité déconcertante quand ça les arrange), dans le but unique de préserver la maximisation de leurs profits.

Donc oui, c’est parfaitement possible de créer autant d’argent que nécessaire au financement de la transition à partir de rien – et ce, SANS provoquer d’hyperinflation, on y reviendra – mais les banques n’en ont pas envie, tout simplement…

Dans ce cas, est-ce que la Banque Centrale Européenne peut nous venir en aide ? [6]

Après tout, elle ne peut jamais faire faillite, donc elle ne risque vraiment pas grand-chose…

Attaquons-nous à un mensonge sur lequel est basé le système bancaire dans son ensemble, financier, banquier, institutions et monde politique inclus. Ce mensonge est « Tout va bien ». Même quand tout va mal, il FAUT dire que tout va bien, sinon c’est la panique bancaire : et dans ce cas, non seulement les banques seraient ruinées, mais aussi les états et les pauvres citoyens qui seraient dans les derniers à retirer leurs avoirs. Puisque tout le monde sait qu’une banque prête plus (beauuuucoup plus) que ce qu’elle n’a, il est évident que tout le monde ne récupèrera pas ses billes…

Dès lors, au lieu de dire que ça ne va pas, on table sur la croissance, seule manière de faire tenir la pyramide de Ponzi debout. Pour que la croissance ait lieu, il faut que la monnaie en circulation augmente (par le crédit, comme on l’a vu), et donc que la BCE augmente sans cesse la monnaie injectée dans l’économie (notamment via les réserves qu’elle crédite aux banques prêteuses). Cela conduit la BCE vers un triple dilemme, 3 scénarios qui peuvent se combiner :

  • La BCE peut imposer un taux d’intérêt plancher, voire nul (tiens, c’est ce qu’on a vu récemment). Du coup, les prix baissent, l’économie devient léthargique, on désindustrialise, le chômage s’étend à cause du phénomène de Trappe à liquidités : plus personne ne prête à personne, il n’y a plus d’argent à investir, bref… c’est la merde.
  • La monnaie injectée peut l’être dans des opérations utiles d’investissements ou dans la consommation directe : ce qui implique que les prix généraux augmentent également, c’est précisément ce qui est arrivé pendant les 30 glorieuses.
  • L’argent peut alimenter des bulles de crédit via les banques secondaires (nos banques à nous, particuliers, par exemple. Bref, tout ce qui n’est pas BCE ou BEI), qui finissent toujours par éclater, et c’est le Krash. C’est ce que nous vivons en Europe depuis 30 ans, juste avant le scénario 1.
  • Ce dilemme monétaire a deux conséquences :
  • L’image d’Épinal qu’on a que les banquiers luttent contre l’inflation est fausse : c’est la création monétaire qui rend possible la croissance économique, au prix de l’inflation (et non de l’hyperinflation, à nouveau on y reviendra) : lutter contre l’inflation revient à lutter contre la croissance.
  • Le scénario inflationniste le moins défavorable des 3 (le second, les 30 glorieuses) est désormais hors d’atteinte de nos économies occidentales précisément à cause de la contrainte énergétique évoquée plus haut. Ce qui explique qu’on soit plutôt dans le scénario 1, à la japonaise.

Bref, actuellement, nous risquons une triple noyade : celle des banques privées, de la BCE et des états, dont les liens sont si forts que si l’un des trois se noie, les autres seront entraînés dans sa chute…

Que faire alors ? Les Communs à notre secours ! [7]

Selon Giraud, qui s’inspire de nombreux auteurs, nous avons 3 biens communs à défendre : le travail, la terre et la monnaie !

Les Communs ont mauvaise presse depuis Hardin et sa Tragédie des communs en 1968, où il concluait que la liberté au sein d’un bien commun conduit tout le monde à sa perte. Ce qui a été repris à bon compte par la pensée libérale : les communs ne seraient donc pas viables et seraient surtout pires que tout, la propriété privée (notion de biens rivaux et biens exclusifs) pouvant seule garantir un usage durable. Bon, permettez-moi à ce stade de douter de ce principe idéologique, on voit bien où ça nous a menés. Ce qu’ils ont oublié de dire, c’est qu’il est parfaitement possible de mettre des règles et des interdits sur un Commun (mais ça, la pensée libérale n’en veut pas), nous y reviendrons.

Giraud s’arrête sur la monnaie comme bien commun, et lui attribue deux caractéristiques : la liquidité (ce dont je dispose là maintenant et dont je fais ce que je veux) et le crédit (la monnaie que je possède me permet d’en emprunter plus, car elle sert de garantie). Or, la monnaie a été largement privatisée, en termes de bien exclusif (l’usage d’un bien par quelqu’un en empêche l’usage par un quelqu’un d’autre): le ruissellement des liquidités tant loué n’est toujours pas démontré dans les faits, que du contraire, et le crédit relève exclusivement du bon vouloir des banques, qu’elles émettent si et seulement si c’est dans leur intérêt propre (voir plus haut).

Question donc : est-ce qu’une création de monnaie comme bien commun génèrerait, comme le disent ceux qui n’en veulent pas, de l’hyperinflation ? Pour y répondre, il faut s’arrêter sur une distinction de base sur deux natures de la monnaie :

  • La monnaie interne : correspond à une dette que l’on a à rembourser. Les billets de banque (qui sont une dette de la banque envers son détenteur), les crédits (vous devez rembourser la banque) en font partie. Bref, la monnaie interne est de l’argent qui, tôt ou tard, revient chez le créancier.
  • La monnaie externe : c’est de la monnaie détenue en absence de toute dette, basée généralement sur une pyramide de Ponzi. Cette monnaie n’apparaît pas sur les bilans des banques ou de la BCE puisqu’elle n’est pas due à quelqu’un à un moment donné. Par exemple, un état qui dépense plus que ses recettes empruntent régulièrement non pour rembourser (enfin, si un peu quand même), mais bien pour continuer à dépenser : tout le monde sait bien qu’il ne remboursera jamais la totalité de sa dette et qu’il devra toujours emprunter à nouveau pour rembourser les crédits passés. Également si un emprunteur fait défaut, les sommes non remboursées deviennent de la monnaie externe.

Ce que Giraud montre avec quelques exemples convaincants, c’est que l’hyperinflation survient presque toujours lorsqu’il y a une augmentation inconsidérée de la monnaie externe ! Les monnaies internes produisent certes de l’inflation, mais mesurée et contrôlée, assurant la croissance permettant au système de ne pas sombrer dans les limbes.

Il est donc parfaitement possible de procéder à de la création monétaire ex nihilo pour la transition écologique, pour autant qu’elle demeure de la monnaie interne !

Alors, on la finance comment cette transition écologique ? [8]

Force est de constater que les quotas CO2 ne remplissent pas du tout leur mission, puisque laissés à l’appréciation des lois du marché… le prix de la tonne de CO2 serait sans doute efficace à partir de 30€ (avec un idéal de 60€), au lieu des quelques malheureux euros du marché.

Selon Giraud, il faut une action politique volontariste :

  • Agir sur une réelle fiscalité carbone avec un prix fixé par des autorités en dehors du marché.
  • Créer de la monnaie interne : la liberté de création monétaire, si elle est vue comme un Commun, devient un réel atout ! Elle peut être confiée à la BCE sous le contrôle de l’union politique européenne, mais le seul obstacle actuel est la croyance que c’est impossible (elle provoquerait de l’hyperinflation notamment) est bien ancrée. A quel taux ? Un taux nul serait préférable, mais en tout cas, vu que le taux de croissance qu’on peut attendre est inférieur à 1%, il faudra que ce taux ne soit jamais supérieur à 1%.
  • En garantie de tout cela, la BEI pourrait créer des obligations vertes afin que l’on conserve bien la création monétaire dans une logique de monnaie interne.

Ok, les Communs c’est donc bien cool, mais comment on « gouverne » ? [9]

Pour Giraud, il faut instaurer 3 grandes règles pour les communs. Sans aucune règle (vision libérale), ça ne marche pas :

  • Les gens concernés par le Commun participent régulièrement à la définition et modification des règles de gestion.
  • Les mesures d’autocontrôle sont collectivement fixées, tout comme les sanctions.
  • Les gens concernés doivent pouvoir compter sur un ensemble d’activités pour accomplir les fonctions de régulation (bon, ça, j’ai pas super bien compris :p). Toute modification doit être négociée (notion de réciprocité).

Quels sont dès lors les chantiers prioritaires ? [10]

Y’en a une tripotée !

  • Pratiquer des politiques contracycliques : rendre difficile l’endettement en période haussière, rendre le désendettement plus facile en période baissière.
  • Obliger les banques à provisionner plus en période haussière.
  • La BCE devrait pouvoir pratiquer des taux différenciés selon ce que les banques feront de l’argent prêté (économie réelle, spéculation, titrisation …).
  • Limiter la privatisation des liquidités sur les marchés.
  • La titrisation doit être mieux encadrée, et ne devrait pas dépasser les 90% d’une créance par exemple (pour que le lien de confiance entre prêteur et emprunteur ne puisse pas n’être qu’une marchandise).
  • Empêcher que les prêts en monnaie interne de la BCE vers les banques privées sortent de l’économie réelle (et ainsi ne deviennent de la monnaie externe).
  • Séparer nettement les métiers de prêteur (et donc collecteur d’épargne) et d’investisseur ! Les banques nous font croire qu’avec Bâle III c’est le cas, mais franchement, c’est encore une fois de la poudre aux yeux.
  • Sortir de l’idée absurde que les marchés financent l’économie réelle (ils ne se financent qu’entre eux pour des chiffres virtuels que nous ne verrons jamais sur nos comptes ou dans notre portefeuille).
  • Sortir de la logique de privatisation des profits et mutualisation des pertes.
  • Interdire le Trading Haute-Fréquence.
  • Sortir de la logique de pantouflage : peu de politiques osent s’attaquer au problème, car une fois leur carrière terminée, ils risquent bien d’avoir le secteur financier et bancaire comme patron.
  • Lutter contre l’évasion fiscale, organisée en grande partie par les banques elles-mêmes (des dizaines de milliards d’euros pas an).
  • Monter le ratio des banques en fonds propres à 20 à 30%. Actuellement c’est plutôt 5%. Un nouveau krash, au niveau de ratio actuel, impliquera un nouveau sauvetage des banques aux frais des contribuables.
  • Nationaliser la partie du secteur bancaire qui refusera de faire son travail !
  • Empêcher les banques privées de créer de la monnaie, seule la BCE devrait pouvoir le faire.
  • Par-delà même, passer à un système monétaire à réserve totale (monnaie SMART), ce qui aurait de nombreux avantages : plus de raison de céder à la panique bancaire, plus de raison de mentir (tout va bien !), libère les états du fléau des taches solaires, bref : sortir de la spéculation.

Se libérer du Veau d’Or [11]

Le lobby bancaire et la doxa capitaliste actionnariale ont transformé l’Union Européenne en un « bête » marché de biens et capitaux dérégulés. L’Europe est au bord du gouffre financier et tout le monde regarde ailleurs (ouais, bon… don’t look up hein). Les liquidités et les crédits ont été purement et simplement privatisés par les lobbies financiers, avec la complicité forcée, mais condescendante des états.

L’Europe est pensée, gérée et dirigée par une espèce « d’entre-soi consanguin » : de nos jours en Europe, 25% des gens accèdent à des études supérieures (et ça, c’est cool, mais ce n’est pas assez). Dès lors on a une espèce d’endogamie de ces 25% qui vivent ensemble, travaillent ensemble, et pensent dès lors qu’ils représentent la majorité des gens… ce qui est bon pour eux est donc bon pour tous.

Il faut absolument réintroduire le droit et l’interdit dans la finance. Malheureusement cela reviendrait à avouer publiquement que des mensonges ont été sciemment soutenus pendant des décennies : on préfère donc garantir une prospérité économique aux citoyens « archaïques » – les 75% qui restent – pour éviter de devoir dialoguer avec eux.

Sauf que… le désarroi guette : le pari de la prospérité et de la croissance est déjà perdu en Europe. On patauge, on piétine, on camoufle pour ne pas révéler l’horreur au grand jour : en fait, ça va très, très mal !

Une seule piste salvatrice : imposer une nouvelle régulation forte, publique, collective, décidée en commun, pour que les banques remplissent enfin le service qu’elles doivent à la société, et non leurs seuls et uniques intérêts.

Bonne chance !

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