Dernière modification le 1-6-2022 à 15:25:03
Le Monde, 17 novembre 2021. « La chasse, débat sociétal et enjeu politique », Planète, pp. 8-10
Décidément, à certaines périodes de l’année (laquelle en France, s’étend « officiellement » sur six bons mois), selon le lieu où l’on habite, il ne fait pas bon être promeneur, écologiste ou protecteur d’espèces en voie de disparition. Le fait est que la rhétorique des chasseurs excelle souvent à clore le bec de qui trouve à redire à leurs activités. Ose-t-on invoquer la récurrence des tirs accidentels en direction des marcheurs, des habitations ou des véhicules (un automobiliste tué fin octobre dans la région de Rennes) ? C’est tout juste si celles et ceux que finissent par exaspérer – à force d’un effroi compréhensible – les coups de feu inopinés, trop proches et trop fréquents ne se font pas massivement accuser de vouloir contrarier « l’apport des chasseurs et de leurs fédérations à la nature et à la biodiversité » ! Comme si, jointe à la réintroduction – au fil des années 1970-1980 – de certaines espèces dans telles et telles régions, le soin que les chasseurs prennent à épargner les jeunes et les femelles n’avait pas pour conséquence de pousser ce gibier vers les cultures céréalières où ils pratiquent nombre de dégâts (consommation des graines et destruction des semences, si bien qu’en 2018, les fédérations de chasseurs ont dû y aller de 60 millions d’euros en sorte d’indemniser les agriculteurs). Ou comme si la mission des parcs d’élevage français – 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colverts, 100 000 lapins de garenne, 40 000 lièvres et 7000 daims majoritairement destinés à être relâchés dans la nature en sorte d’être chassés – était de nature à contribuer à la biodiversité !
Plus modestement, certains plaident pour le maintien des traditions. Des « coutumes locales ». D’un « mode de vie ». D’une « philosophie ». D’autres l’avouent : « Toute ma vie, j’ai surtout chassé pour marcher et faire courir mes chiens ». « C’est surtout pour se balader et faire courir son épagneul ». Quant à ceux qui sont trop fatigués pour suivre lesdits chiens, les élevages français, toujours à leur service, se révèlent prompts à relâcher – une poignée d’heures plus tôt et à leur intention – quelques-uns de leurs faisans.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Macron, le ministère de la transition écologique s’était bien efforcé de mettre en place une « gestion adaptative » destinée à ajuster les prélèvements en fonction de l’état de conservation des espèces déclinantes – ainsi la vingtaine répertoriée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Hélas, deux ans plus tard, le projet capotait. Pire : les chasseurs, qui ne se privent pas de « recenser les animaux avec leurs propres méthodes qui ne correspondent pas aux protocoles internationaux, dans un but purement cynégétique », se sont à présent mis en tête d’intervenir dans les écoles…
À cinq mois de l’élection présidentielle française, trois ans donc après que le président Macron (dont les sympathies pour les chasseurs n’échappent à personne) a fait baisser le prix du permis de chasse de 400 euros à 200 euros annuels, se trouvera-t-il l’un ou l’autre candidat pour prendre le parti des adeptes de la protection animale et de la préservation de la nature taxés par certains d’« extrémistes de l’écologie radicale » ?
Mais c’est qu’un bon petit paquet de voix émanant du million de chasseurs français n’est surtout pas à négliger, s’agissant d’accéder au second tour. Du côté de la droite ? Pas uniquement. Comme le souligne Jérôme Fouquet : « Il y a toujours eu une tradition de gauche dans la chasse. Cela reste un acquis de la Révolution française, un droit issu de l’abolition des privilèges ». À preuve, Fabien Roussel, candidat communiste, s’est empressé de se déclarer hostile au « courant antichasse » : « Les chasseurs participent beaucoup à la préservation des pâtures (…) et de la faune ».
Quant aux centristes du Mouvement démocrate (MoDem)… On a pu entendre Geneviève Darrieussecq déclarer : « Ceux qui aiment le plus la biodiversité, ce sont les chasseurs ». Ce qui reste encore à démontrer.