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12 – Lithium, un sûr allié dans la lutte contre le dérèglement climatique ?

Dernière modification le 1-6-2022 à 15:25:02

Le Monde, 24 et 25 novembre 2021. « La course au lithium », Planète, pp. 10-11 et p. 8

Depuis un demi-siècle, on connaissait ce métal alcalin dérivé de composés ioniques pour son aptitude à stabiliser les troubles maniaco-dépressifs – vertu ne requérant au plan mondial qu’une modeste exploitation. Récemment, toutefois, les considérations d’ordre environnemental contraignant à penser au plus vite la transition énergétique post-carbone, le lithium a commencé à faire beaucoup parler de lui de par son aptitude à conserver une grande quantité d’énergie dans un volume réduit. En effet, les besoins susceptibles d’assurer la production des éoliennes, des panneaux solaires, des batteries de portables et plus encore des véhicules électriques le désignent désormais comme un élément chimique tout particulièrement prisé. Selon l’Agence internationale pour l’énergie, la demande mondiale en lithium pourrait même être multipliée par quarante au cours des vingt prochaines années. Autant dire que – selon les richesses de son sous-sol – chacun s’y met. L’Australie, la Chine, le Chili et l’Argentine de façon particulièrement massive.

Les États-Unis ? Jusque récemment, bien que possesseur d’environ 10% des réserves mondiales de lithium, ce pays n’en fournissait qu’une quantité annuelle insignifiante. Mais depuis le début de cette année 2021, les choses tendent à massivement changer, l’administration Biden ayant décrété que, d’ici 2030, les véhicules électriques devaient y représenter le 50% des ventes automobiles. Or, s’agissant de « sécuriser les filières d’approvisionnement américaines en produits essentiels », il convient de tout mettre en œuvre pour puiser dans son propre sous-sol de quoi pourvoir à l’industrie automobile. De sorte qu’au nom de l’environnement, l’entreprise canadienne Lithium Americas (principal actionnaire : la compagnie chinoise Ganfeng Lithium) se fait fort d’implanter à Thacker Pass, en plein désert du Nevada, outre une gigantesque mine à ciel ouvert – 520 hectares, dotée d’un puits descendant jusqu’à 110 mètres de profondeur –, une usine de production d’acide sulfurique, un héliport et un site de déchets toxiques. Une opération promise à consommer la bagatelle de 10 millions de litres d’eau par jour, 41 000 litres de diesel et les 5800 tonnes d’acide sulfurique nécessaires à séparer le lithium de l’argile. De quoi couvrir un quart de la demande mondiale de lithium.  De quoi aussi doper les investissements…

Les ranchers de pères en fils de la région que rend – et à raison ! – nerveux un très préjudiciable détournement d’eau auquel vont s’ajouter les rejets d’acide sulfurique ensevelis sur place (au détriment d’espèces rares tels que le tétras des armoises et le lapin pygmée) ? De quel poids pourraient-ils peser face à ce nouvel Eldorado de « l’or blanc » ?

La tribu des Paiute-Shoshone pour lesquels Thacker Pass constitue un site sacré en vertu du massacre qui s’y est produit en 1865 ? Essayez donc de convaincre une justice refusant de considérer la tradition orale comme un élément suffisant. (Par bonheur, en fin de compte, à force de recherches, une trace écrite s’est tout de même trouvée).

Les écologistes qui se relaient sur place, campant là où la compagnie minière a installé une station météo ? Eux s’efforcent d’attirer l’attention sur le fait que l’extraction de métaux tels que le lithium, le cobalt et le nickel chargés de soutenir une énergie propre n’a rien d’inoffensif.

À Winnemucca, par contre, la ville la plus proche du futur chantier, l’optimisme bat son plein : 75 millions de dollars de recettes fiscales (supposées), 800 ouvriers employés pour la constriction, 200 en tant qu’opérateurs. On rêve déjà d’opulence.

Pendant ce temps, au sud de la Californie, à Salton Sea (un lac intérieur d’eau salée) – soit près d’un « potager » alimentant les États-Unis en laitues, asperges et melon –, la fièvre du lithium s’empare d’autres candidats à l’exploitation… pour la joie des élus locaux. Parmi eux, le groupe énergétique Controlled Thermal Ressource affairé à forer au lieu-dit Hell’s Kitchen un premier puits susceptible de descendre à 2430 mètres de profondeur. « La poussière ne demande[-t-elle] qu’à profiter du vent pour répandre les particules toxiques qui donnent à l’Imperial Valley l’un des taux de maladies respiratoires les plus élevés du pays » ? Le fait ne semble pas beaucoup préoccuper. Pensez : « Il y a dix ans, le prix de la tonne de carbonate était de 600 dollars. L’autre jour, il a terminé à 30 000 dollars ».

La « Lithium Valley », c’est pour bientôt. D’ici 2024 : 20 000 tonnes d’hydroxyde de lithium d’ici mi-2024 – de quoi alimenter 6 millions de véhicules électriques. Tant pis donc si, de notoriété publique, « le taux des mineurs admis aux urgences pour des crises d’asthme est deux fois plus élevé dans le comté que pour l’ensemble de la Californie ».

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