vendredi , 14 mars 2025

Airvore ou la face obscure des transports

Dernière modification le 6-3-2025 à 19:04:40

« Airvore ou la face obscure des transports »
Chronique d’une pollution annoncée
Laurent Castaignède, Ecosociété, 2018.
341 pages (annexes comprises, mais il faut vraiment les lire).

Attache bien ta ceinture !

Je ne sais pas quel a été votre déclic à vous (ni même si vous l’avez déjà eu mais je vous le souhaite). Quand je parle de déclic, c’est pas celui qui vous tilte quelque part dans la tête en vous disant « y’a quand même un truc qui va pas, ça va se casser la gueule, faudrait changer ». Non. Je parle de celui qui fait « ok, stop, maintenant ça suffit, je bouge, je change. Maintenant ».

Moi, ça a été il y a 3 ans, quand je me suis rendu compte que je passais 40 heures chaque mois dans mon véhicule (de société bien sûr, et avec carte essence bien entendu) juste pour aller bosser (et encore, j’étais à 4/5ème).

Ça m’a percuté d’un coup: 40h . Une semaine complète d’équivalent temps plein (au Grand-Duché du Luxembourg, c’est des semaines de 40h) dans une bagnole à me morfondre dans les bouchons interminables. Tout ça pour aller gagner le blé qui me servait principalement me soulager des longues journées de travail avant de rentrer tard, crevé et de mauvaise humeur. Depuis, ma vie a complètement basculé, tout a changé – ou presque, et je m’en porte beaucoup, beaucoup mieux .

Alors vous pensez bien que quand j’ai entendu Castaignède sur Thinkerview récemment (c’est ici: Écologie, Transports et Mythomanie: youtu.be/5gOsjIxR7T0) je me suis empressé d’acheter son bouquin…

Pourquoi s’attaquer aux transports ? Parce qu’à ce jour, ils sont responsables de la moitié des gaz polluants (santé publique) et du tiers des émissions de GES (climat). Ils sont en outre la colonne vertébrale de tout le système consumériste actuel: sans transports – quasi gratuits dans la facture finale – nous n’avons plus grand chose à consommer… et toute la société s’effondre.

Pourtant l’enjeu est de taille, il ne s’agit ni plus, ni moins, que de stopper une mortalité impressionnante aujourd’hui et de préserver des conditions de vie à peu près décentes demain.

Un bouquin très facile à lire, sans jargon d’initié (et quand c’est le cas, les annexes sont là pour ça, très bien faites pour des clettes – c’est comme ça qu’on dit chez moi, genre « idiots » – comme moi qui n’ont aucun bagage technique sur les moteurs et leur fonctionnement) et hyper bien sourcé (presque trop ).

Il est divisé en deux temps: la première moitié retrace l’historique des transports motorisés, de 1800 à nos jours, la seconde décrivant les impasses, les enjeux, les mirages et les mythes en terminant pas une série de propositions concrètes pour sortir de l’impasse, les deux parties étant intelligemment scindées par un petit cahier d’illustrations (photographies, publicités d’époque, peintures, caricatures…).

Si vous souhaitez ne pas tout lire (c’est un peu long mais le bouquin est très très dense) , allez directement à:

  • la partie 1 pour l’historique
  • la partie 2 pour les enjeux, les freins, les fausses bonnes solutions
  • la partie 3 pour les propositions de solutions de l’auteur
  • la partie 4 pour mes conclusions

1 – Première partie : l’irrésistible ascension de la mobilité motorisée

Il y a analyse en détails (mais vraiment en détail ) 4 grandes périodes distinctes: 1800-1900, 1900-1950, 1950-2000 et enfin 2000 à nos jours (+\- 2016/2017), avec une approche quasi systématique pour chaque moyen de transport (véhicules particuliers, train, aviation, marine) et chaque période: d’abord les « progrès » techniques, ensuite les problèmes engendrés (santé publique, société, aménagement des territoires, …) et enfin les réponses sociales et politiques apportées (du moins leurs essais parce que l’industrie a vite fait de leur chier dans les bottes).

A moins d’être féru de chiffres, dates, règlements, circulaires et autres numéros de lois et de traités, ces parties peuvent paraître un peu laborieuses et longuettes, mais il ne faut surtout pas se décourager (j’ai laissé le bouquin deux semaines en suspens avant de prendre mon courage à deux mains et poursuivre, j’ai pas été déçu!), la suite est fort instructive (et assez effrayante aussi…). Cela dit si vous n’avez pas le courage de vous taper tout l’historique, lire la seconde partie uniquement est possible et sans perdre le sens de son propos, mais vous allez rater des infos utiles. Comme je suis sympa, je vous en met quelques-unes (il manque forcément plein de choses – y’a pas le tiers de mes notes, donc je vous encourage à lire le bouquin !!!):

  • Dès les premières années, de gros problèmes de santé et de sécurité publique sont apparus clairement: on s’est bien vite rendu compte que le crottin de cheval – qui était devenu un réel problème de salubrité dans les villes – n’avait finalement pas beaucoup de nuisances à envier aux engins sales, puants et dangereux qui ont progressivement pris leur place.
  • La population la plus exposée aux pollutions de l’air générées par la combustion du charbon (d’abord) puis du pétrole (ensuite) ont changé: d’abord confinées aux bassins industriels (principalement en raison de la production métallurgique – voies ferrées notamment), elle s’est déplacée dans le centre des villes (production d’électricité), puis à leur périphérie (industrie lourde) pour enfin revenir aux grandes agglomérations avec la prolifération des véhicules personnels (entendez quand même: pour les riches hein).
  • En 1820, l’effet de serre est théorisé (Joseph Fourier), sans voir encore l’effet de la combustion des énergies fossiles comme pouvant y contribuer significativement.
  • Très rapidement – dès 1850, les quelques essais de réglementation se heurtent violemment aux intérêts des riches industriels, qui rendent toute décision inefficace quand ils ne les font pas annuler purement et simplement.
  • La première voiture électrique fonctionnelle date de 1881 (Gustave Trouvé).
  • Dès la fin du 19eme, il est déjà dans l’idée que se déplacer plus vite permettra rapidement l’étalement urbain.
  • La 1ère guerre mondiale va voir s’imposer le pétrole comme ressource vitale, une question géostratégies de première importance.
  • Déjà début 1900, les progrès de consommation des moteurs sont annihilés par l’augmentation de la taille, du poids et des performances des véhicules (ça date donc pas d’hier): en fait pendant toute l’évolution des transports, c’est bien ce qui va se produire: au lieu de consommer toujours moins, le véhicules vois s’alourdir et rouler plus vite.
  • Assez rapidement (dès les années 30) les industriels comprennent qu’il est important d’avoir un effet de mode afin que les usagers d’automobile aient envie d’en changer régulièrement: l’obsolescence programmée par effet de mode est née! Et ça fonctionne mieux que prévu grâce à l’avènement du crédit auto au sortir de la seconde guerre.
  • En 1944, la convention de Chicago instaure la détaxation des carburants aériens afin de ne pas nuire aux affaires et profit des industriels. On en est toujours là à ce jour !
  • Dès 1950, l’argent public afflue pour améliorer le réseau dans le but de décongestionner les routes déjà très encombrées, avec l’effet pervers de finalement mettre encore plus de véhicules sur les routes: le cercle vicieux se met en place !
  • A partir des années 50, on commence à chiffrer la mortalité due à la mauvaise qualité de l’air occasionnée par la combustion du pétrole et dérives: elle se chiffre déjà à plusieurs dizaines/centaines de milliers de par le monde et par année.
  • Déjà à l’époque, les industriels se cachent derrière les prétendues «incertitudes scientifiques» pour échapper à leur responsabilité (pourtant plus que manifeste !). On pense déjà, à ce moment-là, à chercher de nouveaux moyens de déplacement non polluants. Les constructeurs signent d’ailleurs entre eux des accords ayant pour but d’annihiler toute législation allant contre leurs intérêts.
  • En 1955, Hans Eduard Suess apporte la preuve du réchauffement climatique d’origine anthropique (se basant sur les isotopes de CO2 retrouvés dans l’atmosphère). On ignore cependant encore tout des seuils qui provoqueraient des changements irréversibles.
  • Au premier choc pétrolier, certains dirigeants tentent d’inciter les populations à économiser les carburants (Carter notamment), mais sans aucun résultat tangible: l’auto est déjà trop ancrée dans les mœurs, fait partie des signes évident des réussites de la population… et les hommes politiques qui ont osé faire ces demandes aux populations ne sont pas réélues.
  • En 1979, première conférence internationale sur le climat, à Genève: les scientifiques publient un appel aux nations, expliquant qu’il est plausible que la combustion des énergies fossiles conduise à un réchauffement global.
  • S’en suivent la création du GIEC (1988), le sommet de la terre à Rio (1992), le protocole de Kyoto (1997) et les rapports échelonnés de ce même GIEC (1990, 1995, 1999 – rapport spécial) mais rien n’y fait. Chaque rapport, chaque sommet, confirme plus précisément ce qu’on sentait: le climat dérape dangereusement et il est plus que probable qu’il s’agisse bel et bien d’une conséquence de la combustion de combustibles fossiles et donc d’une cause anthropique.
  • Dans le même temps, les particuliers, incités par une machine marketing de plus en plus efficaces ne veulent pas en entendre parler, pas plus que les industriels et financiers qui n’ont aucune envie de renoncer à leur poule aux œufs d’or : poussés initialement (années 50) par un fort gain de productivité (rendu possible par des transports de plus en plus rapides et l’énergie concentrée du pétrole), la civilisation des loisirs était née (pour une partie de la population du globe en tout cas) et plus personne ne voulait y renoncer.
  • La course folle est donc amorcée et personne, malgré les preuves accablantes et les essais de réglementation, ne semble vouloir renoncer à la moindre parcelle de « liberté » offerte par le pétrole et les transports.
  • En 2004 l’OMS attribue directement à la mauvaise qualité de l’air 1.9% des décès. En 2008 c’est 2.1%. En 2012 c’est 7% et 2015 8%
  • Les rapports du GIEC de 2001, puis 2007 confirment et renforcent leurs conclusions: il faut absolument ralentir la combustion des énergies fossiles !
  • Les accords de Paris (Cop21) de 2015 fixent des objectifs, insuffisants et surtout non contraignants: personne ne veut renoncer à sa croissance de son côté, malgré qu’il soit maintenant acquis – et de longue date ! – que la course à la vitesse et au consumérisme nous mène droit à notre perte…

Pour la première fois dans l’histoire, on se rend compte que le réel problème qu’on va avoir avec les énergies fossiles ne sont pas tellement leur épuisement à venir mais bien au contraire leur relative abondance…

2 – Seconde partie : « Un présent et des perspectives à couper le souffle »

Nous voilà (enfin) dans l’analyse du constat, des freins, des verrous et surtout… de l’aspect parfaitement inutile des avancées technologique, scientifiques, et du GreenWashing généralisé ! Je vous passe les perspectives de croissance de chaque mode de transport (comptez 3% par an tout mode confondu, et autant pour tous les aspects indirects qui vont avec : production de matières premières, infrastructures et externalités).

D’ici à 2060, sans mesures particulièrement agressive (et donc liberticides et forcément décroissantes, et on n’en voit pas l’ombre d’une esquisse malgré les promesses), les émissions de CO vont a minima se maintenir, les particules vont augmenter d’1/3, les dioxydes de souffre de 50%, le CO2 de 2/3, les oxydes d’azote de 80%.

On passera dès lors de 4 millions de morts annuels directement attribués à la qualité de l’air a 6 à 9 millions.

Alors quoi ? Tous les progrès techniques qu’on nous annonce ne sont-ils que de la poudre aux yeux ? Les normes imposées partout dans le monde sont-elles inefficaces ? Est-on en présence d’un greenwashing organisé sciemment ? Un peu de tout ça…

Castaignède dégage 10 grandes raisons de ne se réjouir d’aucune norme, d’aucune avancée technologie, qu’il résume et illustre de nombreux exemples par une ultime explication, le paradoxe de Jevons (effet rebond direct et indirect) et l’effet de parc, certainement déjà bien connu de beaucoup d’entre vous. Nombreux sont ceux qui m’ont déjà opposé l’argument qui voudrait que ces effets n’aient encore jamais été démontrés. Visiblement ils ânonnent ce qu’ils ont entendu braire sans jamais avoir rien lu…

  1. les gains de performance ont toujours et systématiquement été anéantis pas l’augmentation de la taille (poids) et des performances des véhicules. Certes les moteurs sont de plus en plus performants et ont des rendements énergétiques meilleurs d’année en année, mais la charge étant de plus en plus lourde à tracter, la puissance étant de plus en plus grande, nos voitures n’ont jamais réellement diminué leur consommation au km.
  2. Les méthodes des industriels pour contourner les règles et bancs de roulage sont de plus en plus astucieuse: plus les normes sont sévères, plus les voitures sont optimisées pour les contrôles, qui ne sont jamais les conditions réelles de roulage. Une vaste arnaque illustrée a de nombreuses reprises, dont la dernière qui a fait grand bruit, le Diesel Gate de VW.
  3. A chaque technologie – plus efficiente énergétiquement et écologiquement parlant – qui arrive, c’est tout un parc automobile qui est renouvelé, avec les extractions de matières leur transports, leur transformations qui vont avec.
  4. Les véhicule aux normes en vigueur à un moment perdent leur efficacité avec le temps: les pièces s’usent, elles partent dans le circuit de l’occasion puis a l’étranger, en se faisant dépouiller des équipements « écologiques » car chers – ou impossibles – à réparer (pots catalytiques par exemple).
  5. L’efficacité énergétique, quand elle est efficace, est totalement annihilée par l’effet de parc: c’est cool d’avoir des moteurs qui rejettent 20% en moins, mais s’il y en a 60% de plus, la facture finale reste de plus en plus élevée.
  6. Les émissions indirectes restent en croissance nette : c’est pas le tout d’avoir des véhicules plus verts. L’EROI des énergies fossiles baissant avec le temps, il faut dépenser plus d’énergie pour obtenir la même quantité de carburant. Les métaux utilisés dans les nouvelles technologies sont plus polluants à extraire et transformer que dans les technologies précédentes. L’électronique embarquée de plus en plus en rajoute encore une couche. Bref, on pollue plus en fabriquant et en faisant rouler des véhicule nouvelle génération que les anciens.
  7. L’électricité a le vent en poupe: mais de l’électricité produite à base de quoi ? Elle reste pour sa grande majorité dans le monde produite à base de charbon. Dans le meilleur des cas, elle aura au final le même impact qu’une voiture thermique, dans le pire elle polluera 10 à 1000x plus.
  8. Les biocarburants (ou agrocarburants): une fois qu’on a pris en compte la totalité de la chaîne (déforestation, changement d’usage des sols, concurrence alimentaire, intrants chimiques, logistique spécifique, pesticides et OGM, leur avantage est réduit à l’eau de chagrin, et de toute façon écrasé par l’effet de parc.
  9. Les comparatifs intermodaux ne sont pas si évidents. Sur les courtes distances, les transports en commun sont généralement conseillés. Sauf qu’en deçà de 10 passagers, on perd l’avantage par rapport à la voiture particulière. Sur les moyennes distances clé ferroviaire à tendance à allonger les distances domicile-travail, ce qui au final annule le bénéfice relatif au km parcouru. Sur les longues distances, l’existence de l’avion est sans doute une bonne nouvelle en termes de km/passager mais le problème est qu’il reporte le bénéfice sur l’effet d’aubaine: on part facilement plus loin pour des voyages d’agrément (les bons vieux touristes !).
  10. La compensation carbone (plante un arbre ! Par exemple) est LA fausse bonne idée car est légitimiste le déplacement « pour rien », en d’autres termes, le déplacement qu’on n’aurait sans doute pas fait dans l’existence du moyen de transport…

Le tout étant résumé dans un long et instructif paragraphe largement illustré d’exemples sur le paradoxe de Jevons (effet rebond) plus quelque chose est peu cher – peu gourmand en prix de l’énergie en d’autres termes – et plus les gens l’utilisent massivement, annihilant automatiquement les économies qu’on aurait pu faire, voire augmentant au finale la charge énergétique et les nuisances globales. Vous connaissez sans aucun doute les deux facettes de l’effet rebond : le direct et l’indirect. L’effet direct peut se résumer à « c’est moins cher donc je peux en acheter plus! » (Du coup, on consomme plus au global). L’effet indirect étant: j’ai économisé sur ce poste (c’est moins cher) donc j’ai plus de moyens pour consommer autre chose. On ajoute à cela l’effet de Parc: c’est moins cher, donc accessible à un plus grand nombre, et vous obtenez un cocktail parfait pour que, au final, on soit en croissance nette de consommation de ressources, d’énergie, et d’externalités (entendez: pollution et émission de GES).

Dès lors, le salut peut-il vraiment venir de la technologie ? Vous avez sans doute déjà la réponse, mais à nouveau, l’auteur se penche sur une dizaine d’aspects précis pour bien illustrer qu’il n’en sera rien :

  1. Aucune ENR n’est capable de fournir directement l’énergie nécessaire pour les transports, à performances de puissance égale. Tout au plus elles peuvent servir à la fabrication/transformation des carburants liquides embarqués.
  2. Toutes les innovations technologiques restent, au final, braquées sur la vitesse des transports, annihilant du même coup les gains d’émission globaux.
  3. L’allègement des véhicules, par la mise à disposition de matériaux alternatifs, perd tout son avantage de par la pollution et l’énergie consommée pour fabriquer ces matériaux.
  4. Les biocarburants n’ont finalement globalement pas d’avantage par rapport aux énergies fossiles. La seule alternative viable serait de réduire la consommation d’énergie.
  5. Les véhicules électriques engendrent bien des dégâts de leur côté: outre la consommation de métaux (dégâts environnementaux colossaux pour leur extraction), l’électricité au niveau mondial est encore principalement produite à partir de charbon (la pire des énergies fossiles point de vue GES) et enfin il s’agit surtout d’une justification pratique pour ne rien changer à la consommation de déplacements.
  6. Les marchés de change du Carbone est bien la pire fausse bonne idée qu’on ait eue: elle est inefficace (pas de réduction réelle des GES, et ne concerne au final que 8% des émissions mondiales), déresponsabilise les acteurs (c’est la faute au « marché »), prive les états de revenus de taxes carbone, a créé toute une filière financière dédiée (spéculation, produits dérivés) et permet au secteur privé de s’en sortir à peu de frais (voire de faire des bénéfices plantureux).
  7. Alors que les transports nous ont été vendus comme l’outil ultime de la liberté, nous sommes en fait à présent totalement prisonniers de ceux-ci: tout est organisé autour des transports, depuis notre maison (allée de garage, garage) à l’organisation des villes, des campagnes: tout dépend des transports, que l’on soit un particulier, une entreprise, un état, puisque toute la société est organisée autour d’eux. Nous sommes dans une sorte de piège, une dépendance lourde à ceux-ci. Pour paraphraser Janco, le pétrole n’est plus un esclave énergétique mais bien une énergie esclavagiste !
  8. La promesse de la voiture autonome, au-delà des infrastructures dédiées (serveurs, réseaux, 5G) en soi hyper gourmandes en ressources, risque bien de mettre un nouveau temps de cerveau disponible pour le marketing et la publicité : plus besoin d’être attentif à la route, on a désormais tout le loisir d’être réceptif à la puissance de communication marketing du secteur privé, Gafam en tête. Par ailleurs un effet rebond risque de poindre son nez: ceux qui sont incapables de conduire une voiture (peu importe la raison) deviendront éligibles à la conduite (en soi, ce n’est peut-être pas un inconvénient).
  9. Dans la même veine, l’essor des drones légers notamment pour les livraisons, ne permettra pas d’économiser sur le transport conventionnel, au contraire. Tout comme les énergies nouvelles s’ajoutent aux anciennes, ce nouveau mode de livraison « minute » risque fort de contribuer davantage encore au consumérisme ambiant…
  10. Enfin, le transport reste le « moteur invisible » du libre-échange. Comme il ne représente quasi rien sur la facture finale, il permet précisément la mondialisation: chaque élément, sous élément, peut être produit à l’endroit de la planète ou c’est le moins cher, être ensuite pré assemblé ou assemblé dans sa forme finale là où c’est également le moins cher. Bref, les transports sont le flux sanguin ou la colonne vertébrale de notre modèle de civilisation « consumériste » au moindre coût.

3 – Alors quelles sont les « sorties de secours » dans ce système verrouillé de tout côté ?

L’auteur propose 7 pistes concrètes pour « domestiquer » les transports motorisés. Il reste prudent en annonçant qu’il s’agit de propositions et non d’une solution toute faite, mais je pense que le travail est titanesque, tant que le point des infrastructures et de l’usage que – et je pense que le frein majeur est ici – sur la modification des consciences et des habitudes des populations, surtout les plus aisées (typiquement, nous ):

  1. Imposer la transparence totale et la responsabilité des constructeurs sur toute la vie des véhicules, pourquoi pas en laissant les moteurs la propriété inaliénable de ceux-ci (moteur en location, comme c’est déjà le cas de certaines batteries électriques), imposant l’évolutivité des moteurs et systèmes d’échappement en fonction de l’évolution des normes.
  2. Harmonisation et gestion globale des carburants: qu’ils soient tous taxés de manière équivalente en fonction de leur densité énergétique, mais aussi qu’ils reflètent fidèlement les coûts des externalités de chacun: actuellement, le coût de la pollution de l’air et de l’augmentation des GES est exclusivement assumé par la collectivité, de même que celui des accidents de la route par exemple, assumé par les systèmes de soins de santé. En finir avec la détaxation des carburants aéronautique et les « presque pas de taxe » du secteur naval. Par ailleurs, affecter chaque type de motorisation a une utilisation ad hoc: par exemple réserver les batteries électriques à une utilisation nécessitant de très régulières charges complètes (Livraison urbaine, taxi, …) et l’hydrogène (ou le méthane) aux trajets longue distance.
  3. Limitée drastiquement le gaspillage systématique, notamment via le bridage des performances (les amateurs de vitesse se retrouvant sur des circuits dédiés): réduire la consommation passant par le triptyque Velocité-Poids-Gabarit. Augmenter la vitesse d’un véhicule signifie en augmenter le poids (équipements de sécurité notamment) et le châssis, ce qui nécessite d’augmenter encore la puissance: on peut sortir de ce cercle vicieux facilement, encore faut-il sortir du mythe de la vitesse ! Par ailleurs diminuer les gabarits permet en retour de diminuer les équipements de sécurité : une petite citadine ne fait pas le poids contre un gros SUV avec pare-buffle (y’a pas des masses de buffles en ville d’ailleurs), d’où renforcement et alourdissement des équipements de sécurité des petites voitures, encore un cercle vicieux à stopper !
  4. Partager les espaces et les moyens: au-delà de la voiture partagée systématique (effet de parc immédiatement amoindri), l’espace public / et privé – alloué aux véhicules est gigantesque: taille des voiries, parkings, autoroutes, garages, stations-service, … le tout financé – encore une fois! – par la collectivité. Il prône donc que chaque mode de transport soit assumé par ses seuls utilisateurs (sans pour autant que ça devienne privé, mais par une instauration de vignette par exemple), les transports publics collectifs restant du ressort de la collectivité. Pourquoi pas aussi compter le temps de transport domicile-travail comme temps de travail salarié, rendant ce temps très cher au final pour l’employeur, faisant effet levier pour la relocalisation de l’emploi et le télétravail quand c’est possible.
  5. En finir avec le marketing Bling-bling, les compétitions sportives faisant usage de moteurs rutilants (alimentant le mythe de la puissance et de la vitesse): en gros, arrêter de faire rêver tout le monde (enfin, pas moi hein) a posséder de gros engins surpuissants, par exemple…
  6. Stabiliser le parc motorisé, en instaurant par exemple un Numerus Clausus mondial, dont les modalités sont à discuter, mais permettant aux pays émergents de développer leur mobilité pendant que les pays aisés prennent des mesures globales de réduction de la leur. Avec, pourquoi pas, un « marché » des quotas de mobilité (mais je n’y crois guère à ce marché, les effets pervers seront les mêmes que le marché de quotas de carbone).
  7. Enfin, il préconise la sanctuarisation des réserves, avec moratoire sur l’extraction. Cela n’a de sens bien sûr qu’a condition qu’on ait une sérieuse baisse de la demande, et que donc tous les points précédents soient déployés de concert.

4 – Mes conclusions

Censé nous libérer dans le temps (aller plus vite) et dans l’espace (aller plus loin), le développement des transports n’a finalement fait que nous aliéner, nous en rendre totalement dépendant pour tous les aspects de notre vie: en fait, on ne passe jamais autant de temps dans les transports que maintenant pour finalement aller chercher toujours plus loin ce qu’on peut trouver tout près. Emploi, vie sociale, signe extérieur de réussite, consommation, surconsommation, alimentation, loisirs, tout, absolument tout est organisé autour des transports. A tel point qu’il ne nous est même plus imaginable de faire autrement… entendez: avec moins de transports !

Les catastrophes actuelles et à venir, tant un niveau sanitaire (des millions de morts par an directement imputable à la qualité de l’air, sans doute beaucoup plus indirectement) que climatique (le réchauffement va assurément nous rendre la vie plus courte et moins agréable dans l’avenir proche, si pas déjà maintenant) sont maintenant actées et reconnues, tant par les acteurs politiques qu’industriels ou particuliers (à moins de manier la mauvaise foi avec agilité bien sûr), et notre seule réponse à ces enjeux est de chercher à ne rien changer d’autre que la source d’énergie utilisée pour nos flux quotidiens: il nous faut plus, toujours plus de la même chose, en fait. En d’autres mots: nous n’avons pas intégré le cœur de l’enjeu.

Alors que l’alternative (je n’en vois aucune autre à long terme) est claire: moins. Toujours moins. Réduire le parc de machines motorisées. Réduire la consommation d’énergie puisée, transformée, brûlée. Réduire le flux de matière, de personnes. Les prouesses technologies et réglementaires passées, récentes et actuelles ne montrent qu’une seule et unique chose au final: elles ne servent qu’à augmenter les flux en repoussant (de peu, ou en donnant l’illusion de le faire) les échéances malheureuses.

L’avenir est pourtant inéluctable, et c’est le seul choix qui s’offre à nous: soit on s’organise pour faire autrement (pendant qu’on en a encore le temps, mais surtout les moyens !), soit nous serons contraints de le faire de manière totalement désorganisée et très inégalitaire, ce qui mènera à des mouvements de colère bien plus ravageurs que les gilets jaunes.

S’attaquer aux transports sans remettre en question le fonctionnement de la société de la marchandise dans laquelle nous baignons depuis deux ou trois générations reste vain et ne nous mène finalement qu’à en demander plus.

Il est urgent de réorganiser nos modes de vie sur le thème du ralentissement, du moins, du mieux, pour tous, partout. Un vœu pieux, certes, mais inévitable…

Alors, dis-moi, c’est quand qu’on va où ?

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