Dernière modification le 27-1-2023 à 12:41:47
Le podcast
Temps de lecture 6:23 minutes
Le Temps, 11 janvier 2023. « La Suisse laxiste face aux ondes des téléphones portables », p.13.
En octobre 2021, à l’instant d’inaugurer « Un air de famille, chronique d’un désastre annoncé », je me fendais d’une déclaration d’intention. J’y signifiais à peu près ceci : À défaut de pouvoir puiser dans les quotidiens suisses un compte-rendu substantiel de ce qui, en matière environnementale et au fil des semaines, s’acharne à compromettre toujours plus la viabilité de notre planète Terre ; à défaut donc d’y déceler de quoi aiguillonner la société civile face à la Grande Dégradation en cours, il pourrait être profitable de relayer ce que le quotidien français Le Monde s’applique, jour après jour, à recenser en matière de catastrophes causées par la grande industrie, la puissance des lobbys et la procrastination des États. Ceci précisé, je me mettais à l’ouvrage. À peu près tout, je crois, y passait : effets multiples et croissants du dérèglement climatique ; effondrement de la biodiversité ; pollution de l’air, des mers, des sols et du sous-sol ; multiples atteintes à la santé publique – somatique ou mentale, etc.
Or voilà que quinze mois et quarante-neuf chroniques plus tard, un doute émerge. Est-il opportun de continuer à chroniquer ce dont chacun se doute désormais : à savoir qu’aussi longtemps que mille et un petits David ne s’enhardiront pas à affronter, avec toujours plus d’assurance et d’ingéniosité, le grand Goliath et ses alliés, des épisodes de sècheresse se perpétueront avec une insolence décuplée ; d’immenses pans de forêts dont l’importance pour le climat n’est plus à démontrer seront éradiqués ; maintes espèces animales, essentielles à l’équilibre du vivant, disparaîtront ; maintes populations humaines seront chassées de leurs terres ; des fléaux inédits surgiront, qui s’en donneront à cœur joie.
Bref, plutôt que de poursuivre le recensement des catastrophes, peut-être serait-il temps de davantage mettre en avant l’action des David évoqués. Et plus précisément : des contre-feux qu’ils se mêlent d’allumer face au brasier, en sorte de tous ensemble être davantage à même d’en atténuer les ravages.
Tentons donc l’aventure. Ce faisant, il me faudra passer comme chat sur braise sur quelques titres pourtant symptomatiques recensés dans Le Monde de ces dernières semaines. « Matières premières : ces entreprises lancées dans la course aux abysses » et « 2022, année la plus chaude jamais enregistrée en France » (7 janvier). « Des Chinois en recherche désespérée de médicaments antiviraux » (8 janvier). « Cinq millions d’enfants morts avant d’avoir 5 ans » (11 janvier). « PFAS : des polluants “éternels” omniprésents » et « Climat : le PDG d’une compagnie pétrolière président de la COP28 » (13 janvier). « ExxonMobil disposait de projections fiables sur le climat dès 1977 » (14 janvier). « La Californie frappée par des pluies torrentielles » (15 janvier). « Biodiversité : les espèces invasives prolifèrent » (17 janvier). « Terres rares en Suède : les populations autochtones inquiètes » (18 janvier). « Londres durcit le ton face aux actions militantes » (19 janvier). « Déclin des insectes : le lourd impact sanitaire » (21 janvier). « Les plages de la côte Atlantique polluées par des granulés plastiques » (23 janvier). « Surmortalité des dauphins sur le littoral Atlantique » (25 janvier).
Il y a quelques jours de cela, un article du Temps déniché dans un restaurant et signé Anouch Seydtaghia m’informait des efforts déployés en Suisse par Alerte Phonegate. Soit par une ONG concernée par les risques sanitaires bien réels que font peser sur l’utilisateur le rayonnement émis par les téléphones portables… que le mobile en question soit tenu contre l’oreille, qu’il se trouve remisé dans une poche de veste ou dans un sac, ou encore qu’il niche dans une poche de pantalon. En France voisine l’Agence nationale des fréquences (ANFR), jugeant que 38 modèles de téléphones dépassaient les valeurs limites, n’avait-elle pas contraint ses fabricants à les retirer du marché ou à effectuer rapidement des mises à jour de logiciels entraînant une baisse du rayonnement ?
Fort d’un souci on ne saurait plus légitime, en 2019 déjà, Alerte Phonegate sollicitait les autorités helvétiques pour savoir à quel interlocuteur officiel il devait s’adresser. Depuis lors, « différents services gouvernementaux se renvoient habilement la balle » précise le site de l’ONG. De son côté, l’Office fédéral de la santé publique admet bien qu’« il subsiste des incertitudes quant aux effets sur la santé d’une exposition prolongée au rayonnement à haute fréquence émis par les téléphones mobiles » ; toutefois, « une exposition de courte durée ne représente quant à elle aucun danger ».
Or quand on réalise le nombre d’heures que la plupart de gens passent penchés sur leurs mobiles…
Bref : rien de plus – en dépit d’alertes soulevées tant au Parlement par plusieurs députés que dans divers médias. Enfin, au bout de trois années et suite à une nouvelle sollicitation d’Alerte Phonegate, le secrétariat général du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication répond en ces termes : « Après des recherches approfondies, le groupe de travail a constaté qu’en l’état actuel de la législation, il n’existe en Suisse aucune autorité de surveillance du marché compétente pour les aspects sanitaires des produits RNI ». RNI signifiant : radiation non ionisante des téléphones portables et autres objets connectés.
Face à ce qui apparaît comme un scandale sanitaire et industriel doublé d’un flagrant manque de volonté politique d’empoigner le problème, le docteur Marc Arazi, président de l’association à l’origine de multiples révélations sur le sujet, déclare :
« Comme d’habitude, tout est fait pour protéger les industriels, aux dépends de la santé des millions d’usagers de téléphones portables. Nous exhortons les autorités suisses à réagir au plus vite, afin de désigner un service compétent en matière de contrôles et de protection de la santé des utilisateurs soumis aux rayonnements de la téléphonie mobile. Il est du devoir du gouvernement suisse de s’assurer que tout est mis en œuvre pour que les fabricants de téléphones respectent les normes, ce qui n’est pas toujours le cas depuis de trop nombreuses années. »
Et pourquoi l’ONG Alerte Phonegate serait-elle seule à vouloir savoir ce qu’il en est ? Nous tous aussi voulons savoir – non ?