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37 – « Construire une belle Chine » – vraiment ?

Dernière modification le 10-8-2022 à 12:55:35

Le podcast

Temps de lecture 14:27 minutes

 

Le Monde, 19 octobre 2012 – 10 août 2013, « Bâtir une civilisation écologique pour une meilleure planète », pages « Planète ».

Évoquer de nouveau une urgence climatique omniprésente à force de se décliner, ces derniers temps et tout autour de la Terre, à coup de monstrueux incendies ; de gigantesques sècheresses ; de désastreuses inondations ; d’oppressantes canicules et autres phénomènes encore tels que la fonte des glaciers, la salinisation des sols ou le réchauffement des mers ? À quoi bon ! Au fil de cette chronique, je me suis jusque-là appliqué à rendre compte de l’implacable progression des sinistres environnementaux à travers le monde – sautant, pour ce faire, de régions en pays et en continents… en sorte de mieux permettre de réaliser que la dégradation des conditions de vie sur notre planète pouvait se concevoir comme une sorte de « film » dont il était possible d’isoler ici et là bon nombre d’« arrêts sur image ».

Repensant à la chose, je me suis souvenu qu’il était encore un moyen de saisir l’ampleur des désastres en question ; de ceux qui se succèdent et se conjuguent selon un rythme qu’on dira affolant. Ce moyen, cette méthode, je l’avais expérimentée il y a une décennie en concentrant mon attention sur un seul pays. Sur la Chine, en l’occurrence, au moment où, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence annuelle de l’Eco Forum Global de Guiyang, le président chinois Xi Jinping s’était donné pour mot d’ordre de « Construire une belle Chine ».

« Les temps changent », clamaient pour le coup les hommes de pouvoir. Mais dans les faits ? C’est ainsi que, dix mois durant, à travers la lecture des pages « Planète » du quotidien Le Monde, je m’étais employé à mesurer ce qu’il en était pour de bon. Pour demeurer succinct, cela donnait ceci :

– 19.10.2012. Pour avoir relayé la colère de milliers de villageois de l’île de Hainan scandalisés par l’abattage de mangroves et palmiers d’une espèce rare aux fins de promouvoir un tourisme de luxe, et par l’implantation sans préavis d’une centrale thermique, Liu Futang, un retraité de l’administration des forêts, encourt jusqu’à cinq ans de prison ;

– 30.10.2012. Sous la pression de la rue (d’où heurts entre forces de l’ordre et milliers de manifestants), les autorités de la métropole industrielle de Ningbo suspendent le projet d’expansion d’une usine pétrochimique dévolue à la production du redoutable paraxylène. Dans la foulée, il est rappelé que, quatre mois plus tôt, les résidents de Shifang (province du Sichuan) obtenaient la suspension d’un projet d’usine polluante d’alliage de cuivre et de molybdène. Et qu’en octobre, le district de Zhenhai sortait de ses gonds :

Il faut comprendre notre situation et les dangers du PX : nous avons déjà de la chimie, du raffinage, de la production d’éthylène et du gaz naturel. Nous n’en pouvons plus ! Comment vivre avec en plus du PX ? Aucune femme ne se mariera jamais avec quelqu’un de Zhenhai. Quand on dit Zhenhai, les gens pensent à zone de cancer !

– 2.1.2013. Sous la pression de l’opinion publique toujours, le gouvernement finit par sommer 74 grandes villes du pays de publier en temps réel leurs relevés de concentration dans l’air de particules fines d’un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM 2,5), soit les plus dangereuses pour l’appareil respiratoire. (Harold Thibaut note que, pour la seule année 2012, « la forte concentration en particules fines aura causé 8 572 décès prématurés dans les agglomérations de Pékin, Shanghai, Canton et Xi’an ») ;

– 1.2.2013. Suite à une météo favorable, Pékin émerge temporairement d’une pollution due aux quelque 5,2 millions d’autos qui la sillonnent (contribuant à 58% des émissions de monoxyde d’azote), aux usines d’acier et d’électricité des provinces limitrophes, aux engorgements de camions assurant la navette avec la Mongolie intérieure et aux rejets des centrales de chauffage urbain alimentées au charbon (23 millions de tonnes annuelles à Pékin, 270 millions dans le Hebei, 70 millions à Tianjin) ;

– 5.2.2013. China National Petroleum Corporation et Sinopec renâclent à accepter des normes gouvernementales plus strictes en matière de production de carburant.

– 14.2.2013. Fruit d’une politique d’urbanisation intensive censée attirer l’industrie dans des régions peu habitées, des métropoles émergent, au mépris de l’environnement et des populations locales. Après Lanzhou, capitale du Gansu, Baidaoping, nouveau monstre, sort de terre, conçue pour s’étendre sur 25 km2 et abriter cinq cent mille personnes. La chose exige la destruction de 700 sommets montagneux ? 100 000 mètres cubes de terres y sont déplacés chaque jour. Les vents de sable ? L’impact sur la végétation et la santé publique ? L’érosion des sols ? La pression sur les ressources en eau ? « Les gestionnaires de Lanzhou n’ont pas le temps d’y penser – ou si peu », écrit Brice Pedroletti.

­– 25.2. 2013. Une première : un document émanant du ministère chinois de l’environnement admet l’existence de « villages du cancer » proches de sites industriels dont les émanations toxiques polluent au quotidien l’air respiré, l’eau consommée ou le riz produit dans cette eau. Six secteurs industriels voient donc désormais limités leurs quotas d’émissions de produits chimiques.

– 27.2.2013. La State Forestry Administration, instance officielle chinoise, est accusée de promouvoir le commerce de peaux de tigres élevés en captivité aux fins de décorer les maisons des gens fortunés. Ce fait entretient la demande de ceux qui ne peuvent pas s’offrir de peaux légales et se tournent donc vers les réseaux de vente illégale ;

– 1.3.2013. L’enquête citoyenne lancée à propos de la pollution des nappes d’eau par certains industriels attire toujours plus de témoignages à charge. « Wang », le très suivi, évoque une usine de plastique implantée à Zibo et qui rejetterait ses eaux dans les nappes phréatiques « à l’aide de canalisations ». Un fait qui évite leur retraitement. D’autres insistent sur la multiplication des cancers dus à la qualité de l’eau. Un puits d’évacuation d’eaux usées est-il signalé aux autorités ? L’enquête est retardée, faute d’instruments de mesure. L’état des sols en Chine ? L’investigation menée par le ministère de l’environnement a été classée « secret d’État » ;

– 12.3.2013. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction protège désormais le requin océanique. Riposte du Japon, de Singapour et de la Chine (en 2011, la seule Hong Kong a importé 10 millions de kilos d’ailerons de requin) : du fait des lenteurs techniques et administratives, le délai de 18 mois prévu avant l’entrée en vigueur des dispositions adoptées ne pourra être respecté ;

– 10.3.2013. En dix jours, les riverains du Huangpu, fleuve qui arrose Shanghai, ont vu flotter 9500 cadavres de cochons en putréfaction. Enquête menée, il s’agit d’animaux souvent morts du circovirus porcin ou de diarrhées et que, la nuit venue, les paysans balancent à l’eau. (Jusqu’en 2012, les porcs victimes de circovirus étaient rachetés par une mafia locale et revendus sur les marchés de la région – d’où pas mal de condamnations à perpétuité) ;

­– 14.4.2013. Premier émetteur de dioxyde de CO2 de la planète, la Chine tarde à mettre à exécution un projet d’adoption d’une « taxe carbone » au prétexte qu’elle risque d’accabler les entreprises, donc d’entraver la croissance nationale. Aussi continue-t-on à privilégier le développement des marchés de « crédits carbone » ;

– 23.4.2013. Au Sichuan, cinq ans après la secousse de magnitude 6,6 qui causa 87 000 morts, un nouveau séisme y relance la question de la politique de construction massive de retenues hydroélectriques. La fermeture d’un barrage jugé trop proche des montagnes de Longmen dont une faille est présentée comme la cause du nouveau tremblement de terre est donc ordonnée ;

– 10.5.2013. La mort de 32 personnes contaminées par le virus grippal d’origine aviaire H7N9 serait-elle liée aux carcasses de cochons découvertes, en mars dernier, le long du fleuve Huangpu et de ses affluents ? Deux médecins disent ne pouvoir l’exclure, les porcs faisant souvent office de « ponts » entre volailles et humains, s’agissant de la transmutation des virus de la grippe. Les mesures draconiennes édictées par les autorités un moment accusées d’avoir tardé à révéler la cause de ces décès semblent être efficaces.

– 23.5.2013. Près de Kunming, capitale d’un Yunnan appelé à devenir la « plaque tournante du commerce et du transport vers l’Asie du Sud-Est », deux manifestations viennent d’éclater à propos de la future raffinerie d’Anning – un projet qui a entrainé la destruction de 7 villages et le transfert vers des préfabriqués de 3000 habitants. De fait, les gens des environs ont découvert qu’au complexe pétrochimique initialement prévu on avait discrètement adjoint un projet de production du très nocif paraxylène, bête noire des citadins chinois et cause de grandes mobilisations antérieures. La lutte, promettent les opposants, n’est pas prête de s’éteindre ;

– 5.6.2013. Trois accidents qualifiés de « majeurs » relancent le débat à propos des failles qui existent dans les actuelles normes de sécurité industrielle. Lesquelles normes, avec la sécurité alimentaire et environnementale, sont devenues le fer de lance d’une campagne nationale de sensibilisation baptisée Ping’an Zhongguo (« Une Chine sûre »). Parmi les experts du comité chargé de fixer les taux de sulfure dans l’essence, bon nombre viennent de Petrochina et Sinopec, deux sociétés ultra-puissantes craignant que la production d’une essence moins sale ne leur coûte des sommes exorbitantes ;

– 18.6.2013. Suite à plusieurs catastrophes environnementales dénoncées sur le net et au fait que, ces derniers mois, les grandes villes chinoises ont été plongées dans un épais brouillard de particules, le gouvernement s’engage, « mais sans donner de détails, à faire entrer des critères environnementaux dans l’évaluation des officiels locaux ». Il entend aussi procéder à « une mise à niveau globale des petites centrales au charbon et d’industries-clés, et accélérer la désulfuration et la dénitrification » dans les centrales à charbon. En outre, les grandes entreprises les plus sales vont être sommées de rendre publiques leurs émissions. Quatre jours plus tard, sur sa lancée, le même gouvernement central, qui réagit au mécontentement croissant de la population, assure que les crimes environnementaux les plus graves pourront être punis de la peine de mort. L’ennui, commente Brice Pedroletti, c’est que : « cette démonstration de force contre les pollueurs se heurte aux réalités chinoises, où l’absence d’indépendance de la justice et le musellement de la presse peuvent réduire à néant les meilleures intentions » ;

– 3.7.2013. Un temps suspendus, les projets de barrages sur la Nu Jiang, seul fleuve chinois libre à ce jour de tout harnachement hydroélectrique, reviennent à l’ordre du jour. Avec, à la clé, le déplacement de près de 60 000 personnes et l’engloutissement d’un pan de la vallée, ainsi que des relais du commerce local. Le géologue Sun Wenpeng affirme : « Aucun pays au monde ne construit des barrages sur une faille sismique dans une vallée en V, où le dénivelé maximal atteint 3000 mètres, avec des pentes extrêmement raides et des risques sismiques très élevés ». Son confrère Xu Daoyi précise que deux séismes récents ont eu lieu à proximité : l’un en Birmanie et un autre à Yingjiang, à l’ouest de la Nu, dans le Yunnan ;

– 9.7.2013. Joint au déversement dans la mer de nutriments destinés à nourrir le crabe d’eau douce juvénile, les rejets d’engrais dus à l’agriculture locale ont eu pour résultat de faire proliférer dans la station balnéaire de Qingdao des milliers de tonnes d’algues vertes. Un fléau pour l’industrie touristique. Les autorités tentent de calmer le jeu : aucun danger pour les baigneurs ! Pendant ce temps, dans la province du Guangxi, les eaux de la rivière Hejiang accusent un taux de cadmium atteignant jusqu’à 5,6 fois le seuil admis. D’où fermeture de 112 mines illégales « dont les rejets en métaux lourds auraient été transférés dans la rivière au cours de violentes pluies ». Dans cette même région, diverses rivières sont polluées par d’autres mines illégales de manganèse, de terres rares et de tungstène ;

– 11.7.2013. Selon une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, la politique qui, entre 1950 et 1980, imposa aux 500 millions d’habitants du nord de la Chine le chauffage au charbon gratuit (système qui va se perpétuer après l’abandon de l’économie planifiée) valut à cette population de voir son espérance de vie réduite de cinq ans et demi ;

­– 16.7.2013. Un début de pression de la part de la population de Jiangmen (province du Guangdong) a eu pour conséquence de conduire les autorités locales à renoncer à un projet de construction d’usine d’enrichissement et de transformation d’uranium en combustible nucléaire destiné aux centrales de la province. La vitesse à laquelle le gouvernement a plié provoque une énorme surprise. « Une concession en échange de la stabilité sociale », commente Greenpeace ;

– 23.7.2013. On annonce pour l’automne l’inauguration d’une première branche d’un projet titanesque répondant au vœu exprimé en 1952 par Mao Zedong et amorcé au début des années 2000. Il s’agit de transférer, au moyen de stations de pompage, les eaux abondantes du Yangzi, qui d’ordinaire s’écoulent au sud du pays, vers les provinces plus arides du nord. D’entre les « épiphénomènes », outre les 340 000 personnes que l’implantation d’un immense chantier déplace : les eaux qu’on fait ainsi refluer font l’objet de rejets polluants de la part des villes et de l’industrie du sud. À quoi s’ajoute qu’il s’agit là d’un très sérieux revers pour les localités avoisinant les rivières ponctionnées dont la concentration en polluants ne pourra qu’augmenter. Idem pour les élevages piscicoles et des terres agricoles qui vont se trouver appauvries d’autant ;

– 10.8.2013. Rançon de la transition nutritive intensive opérée durant les trente dernières années : 11% des 43 000 Chinois testés dans dix provinces sont considérés comme obèses – taux qui atteint 34,4% pour la fourchette des 20-69 ans. Quant aux enfants et aux adolescents, l’Association chinoise de la nutrition et de la promotion de la santé chez les étudiants affirme que près de 120 millions d’entre eux sont concernés par l’obésité….

Le lecteur qui m’aura suivi jusqu’ici jugera-t-il fastidieuse une telle énumération ? Qu’il apprenne que, pour l’épargner, bien des informations glanées n’ont pas été incluses dans ce bilan. Le tout, bien sûr, ne constituant qu’un simple exemple de comptabilisation susceptible d’être reconduit ici et là. En France. Aux États-Unis. En Russie où l’on s’efforce de ne rien laisser filtrer des désastres environnementaux. Et jusque dans notre petite Suisse.

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