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Analyse de la stratégie énergétique de la Suisse

Dernière modification le 25-10-2021 à 9:36:01

Le Conseil fédéral a annoncé cette semaine que le pays pourrait faire face à des pénuries d’électricité, principalement en hiver, et ce dès 2025.

Une annonce qui en a probablement surpris plus d’un, à l’heure où la lutte contre le bouleversement climatique nous impose de décarboner au plus vite l’industrie, les transports, de nombreuses infrastructures et nos modes de vie au quotidien.

Alors que les citoyens sont incités (à juste titre!) à renoncer aux chaudières à mazout et aux véhicules thermiques pour leurs homologues fonctionnant à l’électricité, le Conseil fédéral donne des signaux contradictoires, en brandissant le spectre d’une insuffisance électrique pour faire fonctionner les pompes à chaleurs en hiver et faire circuler correctement les transports publics – trains et trams en tête.

Comment la riche Suisse, château d’eau de l’Europe, équipée de centrales nucléaires et pionnière de l’énergie solaire au siècle passé en est-elle arrivée là?

Nous pourrions rejeter la faute sur une succession d’événements et de choix malheureux, mais l’incompréhension profonde de la problématique énergético-environementale de la part de nos élus, combinée à un manque de vision et de courage politique sont probablement les vrais coupables.

Parmi les évènements et décisions qui ont causé la diminution des investissements dans nos infrastructures électriques, nous pouvons citer la libéralisation du marché de l’électricité, refusée par le peuple, mais entreprise malgré tout à marche forcée dès 2002. L’accident de Fukushima en 2011 a entériné le refus du peuple de poursuivre l’aventure nucléaire civile dans une grande partie de l’Europe. Le parc nucléaire vieillissant d’Europe de l’Ouest n’a jamais été remplacé par de nouvelles générations de réacteurs. Ce déclin des centrales historiques en suisse n’a jamais été compensé par un programme de nouvelles énergies renouvelables d’envergure. Les parcs éoliens, combattus par moult oppositions, peinent à voir le jour, et les conditions intéressantes de vente d’électricité photovoltaïque par des particuliers ont rapidement disparu.

Dans ce contexte où le manque d’ambition et de vision à long terme est prégnant, l’échec des négociations pour le prolongement des accords entre la Suisse et l’Union européenne ce printemps met en lumière les fragilités structurelles de la stratégie de notre pays en termes d’approvisionnement électrique et de lutte contre le changement climatique.

Invité à l’émission Forum, l’ingénieur en énergie Marc Müller estime d’ailleurs que la stratégie énergétique de la Suisse est suicidaire et va droit dans le mur. Dans une intervention brillante d’à peine 5 minutes, il démonte quelques idées reçues. Par son analyse radicale (qui remonte donc aux racines du problème), il soulève certaines questions savamment esquivées dans les discours formatés et rassurants qui nous sont généralement servis sur les chaînes d’information et dans les discours politiques. Il estime par exemple que « l’ensemble de la stratégie actuelle est totalement périlleuse. Elle se base sur le principe qu’on ne va pas réussir notre transition énergétique, et donc qu’on va avoir besoin que les pays européens, qui sont moins riches, nous fournissent en électricité. Cela suppose qu’eux vont réussir leur transition énergétique, et qu’ils vont même tellement bien la réussir qu’ils vont encore avoir des surplus électrique à nous vendre. C’est une stratégie complètement suicidaire. »

Fort de ce constat concernant les causes des pénuries énergétiques à venir, il estime que « c‘est le grand moment de discuter des usages [énergétiques], collectivement, qu’est ce qu’on a envie de faire, ensemble, comment on a envie de vivre, parce que la technique, toute seule, ne va pas nous sauver. »
Bien plus que les moyens d’accéder à toujours plus d’énergie dans un monde fini – que ce soit via le pétrole, le gaz, le charbon, la fission nucléaire, l’hydroélectricité, l’éolien ou le photovoltaïque – ce sont bien des questions de fond, sociétales, qui doivent être débattues publiquement et démocratiquement.
Quand – et non pas si! – nous manquons collectivement d’énergie pour nos usages croissants, quels moyens pour gérer cette limitation physique? Par le prix sur un marché dérégulé? Par des quotas?
Ces questions certes désagréables, mais ô combien cruciales, doivent de toute urgence être largement relayées pour qu’un débat démocratique sain puisse voir le jour. Car refuser de choisir aujourd’hui revient à imposer la loi du plus fort – économiquement ou militairement – demain.
Quand une démocratie ne veut ou ne peut pas s’emparer des questions cruciales pour son destin, elle est très certainement appelée à disparaître.

Alors que l’on cherche à nous faire choisir entre du nucléaire improbable (20-30 ans pour construire une centrale) et dangereux et du gaz incompatible avec nos engagements climatiques, une troisième voie n’est-elle pas non seulement possible, mais nécessaire? Une voie où les investissements publics rendent possible un vaste et rapide programme d’assainissement des bâtiments ? Une voie où la course effrénée et irréfléchie à un développement technologique gourmand en énergie ne serait pas choisie par défaut dans des pays déjà très développés, mais uniquement après une pesée d’intérêts – en termes de qualité de vie du plus grand nombre, et non de rendements financiers de quelques privilégiés? La course à la croissance comme solution à tous nos problèmes, programme politique des conservateurs de touts bords, sans prendre en compte la finitude de notre planète, ne peut nous mener qu’à notre propre perte.

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