mardi , 30 avril 2024

Comment faire tomber un dictateur, quand on est seul, tout petit et sans arme

Editeur: Payot
Collection: Petite Bibliothèque Payot
Parution:mars 2017
Format:Poche
Dimensions:17 x 11 x 2,1 cm
Pages: 330 pages
EAN13: 9782228917636

Lecture, par Raphaël Goblet (repris tel quel sur Facebook)

Un bouquin réjouissant qui fait du bien !!!

« Comment faire tomber un dictateur, quand on est seul, tout petit et sans arme », Srdja Popovic, Payot, 2015, 320 pages de lecture.

Je n’aurais certainement jamais eu l’idée de m’attaquer à ce bouquin si une connaissance de longue date (merci Elisabeth !), voyant passer mes résumés et connaissant mes divers engagements, ne me l’avait pas mis sous le nez.

Et c’est une très belle découverte, réjouissante (c’est vraiment le mot clé de ce bouquin!!!), positive, qui remonte le moral et dénote un peu de mes lectures habituelles 😛. On (enfin, je) termine ce bouquin un peu chamboulé, il faut bien l’avouer, il m’a d’ailleurs fallu deux bonnes semaines pour le digérer et vous restituer ici ces quelques lignes.

Srdja Popovic (je n’ai toujours aucune idée de comment prononcer son prénom sans me cracher dessus) n’est pas le premier venu. Il est l’un des fondateurs du mouvement Otpor!, à l’origine de la chute de Slobodan Milosevic qui régna en maître dictatorial sur l’ex-Yougoslavie dans les années 90/2000. Ça me parle pas mal parce que j’étais à l’époque en âge d’entendre les infos et de comprendre à peu près le bordel qui régnait là-bas. Popovic dirige à présent CANVAS (Centre for Applied Non Violent Action and Strategies) et enseigne l’activisme politique non violent à New-York.

Ce qu’il nous livre ici est plus qu’un témoignage, c’est presque un guide, basé sur son expérience personnelle forte (plusieurs fois passé à tabac et quelques séjours en prison sous une dictature, ça doit laisser des traces 😅) mais aussi sur de très nombreux exemples de par le monde, qu’il les ait juste observés ou qu’il ait carrément conseillé des mouvements locaux de résistance aux dictatures.

Ce bouquin est par ailleurs très actuel, que ce soit là où les dictateurs humains sévissent (tiens, vous remarquerez que dictateur n’a pas de pendant féminin, du moins dans le langage courant, et qu’il n’y en a pas eu des masses de « dictatrices » dans l’histoire – à part peut-être madame Tatcher dirait Renaud), ou encore qu’on se place sous l’angle de la dictature des idées… chacun y mettra ce qu’il veut évidemment, mais de mon côté, je n’ai pu m’empêcher de penser à « la croissance (verte, aussi)», le culte de l’argent, la compétition, la quête de pouvoir, le paternalisme, la virilité du système de pensée global dans lequel nous baignons et auquel il nous faut – c’est mon sentiment – opposer un nouveau récit, une nouvelle base de valeurs sur laquelle construire le monde que nous devrons inévitablement repenser très vite.

Depuis Occupy Wallstreet jusqu’aux mouvements de la place Tahrir au Caire, en passant par une révolution basée sur un fromage iranien (je vous jure) ou sur du sel indien et bien d’autres, Srdja nous invite à considérer que nombre de mouvements non violents sont nés de personnages parfaitement ordinaires, mais qui ont su trouver ce qui rassemblait la plus grande masse de gens – ordinaires eux aussi – pour les emmener ensuite plus loin. Parfois sans en avoir conscience, parfois en passant par la case prison – voire pire (et c’est heureux que nous n’en soyons pas là dans nos pays où les idées ont peu de chance de vous priver de libertés), parfois au contraire en se basant sur une planification à long terme, bien sentie (saisir les opportunités au bon moment est essentiel) et bien pensée.

Il dégage donc au fil des pages des étapes, des avertissements de risque d’échec, et surtout des exemples qui nous font passer intérieurement de « ça ne sera jamais possible chez nous » à « et si… » pour reprendre le titre dernier Rob Hopkins (lisez le aussi, il est super !).

Entrons dans le vif du sujet: comment faire, pour avoir une chance de réussir de manière non violente (malheureusement, ça marche pas à tous les coups) ?

1. Ça peut se passer chez vous, et vous n’êtes pas insignifiant !

La remarque qui arrive en premier, généralement, quand il accueille des groupes et qu’il décrit comment il a mené la lutte chez lui, c’est que « c’est impossible chez nous », et « nous ne sommes rien ». Sans dévoiler trop le bouquin, les exemples de retournements de situation ne manquent pas… après avoir été un peu sceptiques, tous les groupes sont parvenus à trouver un levier de mobilisation. Tous. A l’argument « nous ne sommes rien », il oppose également une foule d’exemples parlants… qui certes pour certains ont échoué, mais il ne faut pas croire que c’est parce qu’on reste des gens « normaux » qu’on n’a aucun pouvoir de changer les choses… certes, il se base sur les meilleurs exemples, et passe sans doute sous silence nombre d’échecs cuisants, il n’en reste pas moins que des changements de fond (rapports de force politiques, racisme, homosexualité et j’en passe) ont pu avoir lieu à l’initiative de gens – ou de groupes de gens – à la base parfaitement « insignifiants ».

2. Voir grand, mais commencer petit.

En d’autres termes, rien ne sert de s’évertuer à tout changer d’un coup. Le message est clair, simple, évident: ce sont des petits pas, qui mis bout à bout, font les révolutions. Par contre, avancer petit à petit sans voir où on veut aller, et c’est l’échec assuré (on y reviendra) ! L’exemple du fromage iranien, le kajmak, est éloquent en plus d’être amusant: un mouvement de fond, basé sur le prix d’un formage populaire qui allait exagérément à la hausse, a réussi à faire basculer des piliers entiers de l’économie iranienne, tout autant qu’en faisant vaciller le pouvoir en place, en enchaînant ensuite – après la victoire sur le prix du fromage – une action sur le prix des loyers devenus exorbitants (qui était l’objectif principal)… en gros, les acteurs du mouvements sont parvenus à leur fin (faire baisser le coût de l’accès au logement) en trouvant d’abord quelque chose (le fromage) qui puisse fédérer l’ensemble de la population, même celle qui pouvait se loger. Cette petite victoire acquise (faire plier l’industrie du fromage) leur a permis de gagner en popularité, en soutien, et leur « victoire finale » en a été grandement facilitée. L’autre exemple parlant est celui d’Harvey Milk, petit vendeur d’assurance, qui est parvenu à plaider la cause Gay avec succès en s’attaquant aux… crottes de chien: encore une fois, il a pu attirer la sympathie du plus grand nombre pour sa cause en cherchant à s’attaquer à problème que tous, gay ou non, connaissent au quotidien.

3. Ayez une vision pour demain.

Ce n’est pas le tout de contester ou critiquer, il faut proposer un avenir dans lequel les gens puissent se projeter. J’ai tout de suite pensé à la transition: proposer un avenir où se serrer la ceinture et faire avec moins ne fait rêver personne. Par contre diffuser des pratiques, des habitudes, avec le sourire au lèvre et la joie au cœur, ça peut faire rêver beaucoup de monde. Promesse un peu utopique sans doute, mais je la teste avec mon projet « les joyeux résistants » depuis 4 ans, et force est de constater que ça apporte plus de résultats (certes locaux ou régionaux mais n’est pas précisément un niveau de changement intéressant ?) que l’écologie mortifère aux allures moribondes. Il utilise ici l’exemple des Maldives et des fêtes du riz, qui ont eu l’effet, outre le rassemblement de milliers de personnes, de proposer à chacun une vision de ce que pourraient être les Maldives autrement… je vous passe les détails, lisez le bouquin 😉.

4. Faire vaciller les piliers du pouvoir.

Toute dictature, humaine ou de pensée, s’appuie sur des piliers: armée, police, fisc, multinationales, médias sont généralement ceux des dictatures humaines. Le vivre ensemble, l’école, les médias (encore) étant (d’après moi) des piliers de la dictature de la pensée (il n’en parle pas, il reste dans son domaine: les dictatures humaines). Il y raconte comment des mouvements sont parvenus à se rallier à eux des policiers, militaires en vue et influents, comment d’autres mouvements sont parvenus à couper les vivres (une partie en tout cas) de certaines dictatures en rendant infréquentables des acteurs économiques majeurs (chaînes hôtelières, industries, etc). Il convient donc, avant tout, de faire une analyse correcte de ce qui tient la dictature en ordre de marche. C’est un travail subtil, qui nécessite beaucoup d’adresse intellectuelle mais surtout beaucoup de créativité !

5. Rire. Être drôle et amusant, mais pas seulement: user et abuser de la dérision pour dénoncer et mettre à mal la dictature.

Un des éléments récurrents des exemples réussis sont les coups de maître amusants pour la population (et parfois même pour certains piliers du pouvoir). Faites rire. Amusez les gens. Donnez leur envie d’avoir la banane. C’est difficile de combattre le rire par la violence, car elle perd tout pouvoir, toute crédibilité… imaginez toute action de terrain comme un jeu que vos concitoyens voudront rejoindre, ou que les bras armés de l’autorité ne pourront attaquer sans subir la réprobation de l’ensemble de la société. « Ce n’est pas bien méchant », « ce ne fait de mal à personne et on a bien ri » sont les phrases que la majorité de la population doit avoir en tête devant vos actions. Dès lors, la violence dont pourrait faire preuve l’autorité serait de facto injustifiée et illégitime. Les exemples son à nouveau nombreux: des balles de Ping Pong déferlent dans les rues, des oranges portées à bout de bras par les gens sans la rue, des bidons vides sur lesquels frapper, … la difficulté majeure étant ici la créativité: que faire pour ça reste sans méchanceté et drôle, mais pour que ça ait malgré tout un impact croissant (les petits pas, souvenez-vous!).

6. Retourner l’oppression contre elle-même.

Et c’est précisément l’objectif de tout ce qui précède: pousser au faux pas, et en d’autres termes, rassembler plus de gens dans votre démarche. Tout au long du bouquin se trouve un concept central: la ligne de démarcation entre la majorité et la minorité. C’est bien là que se trouve la magie d’une possible réussite. Tracez une ligne sur un bout de papier, comptez vos troupes d’un côté, et de l’autre ceux qui n’ont que faire de vos revendications. Le but est de faire progressivement passer de plus en plus de monde de votre côté de la ligne (revoilà les petits pas!). A force d’engranger des résultats, d’imaginer de nouvelle actions de terrain (atteignables! Visez petit, voyez grand !), va arriver le moment où l’oppresseur (« la » croissance en étant un d’après moi) commettra un faux pas, ira trop loin, se tirera lui même une balle dans le pied, perdant des soutiens, parfois fondamentaux. A nous de naviguer juste pour que la faute provienne de l’oppression et non de notre propre camp (on y reviendra!). Le passage à l’acte violent contre une manifestation amusante est un bon exemple (il faut quand même être prêt à endurer cette violence)…

7. Restez uni !

Sans doute la difficulté majeure. Il prend de nombreux exemples de dissensions au sein de mouvements au départ unis, mais les uns trouvant les actions trop molles, les autres voulant aller plus loin, plus vite, les séditions arrivent… Presque systématiquement, les séditions sont synonyme d’épuisement et d’extinction des luttes. Certains se scindent entre un bras « armé » et un bras « politique », d’autres en courants similaires mais qui ne se parlent plus. Les questions de démocratie participative, de processus de décision et d’intelligence collective sont ici prépondérants. J’ai un peu regretté qu’il ne s’y attarde pas plus, car juste une invective à « rester uni » me semble un peu pieux comme démarche…

8. Planifier le chemin vers la victoire.

Ce qui, en d’autres termes, signifie: sachez quand la victoire finale est advenue. Ce qui rejoint des précédents point: sachez où vous voulez aller, dès le départ. Sans cela, vous risquez fort bien de vous arrêter trop tôt ! Nombre de mouvements ont échoué parce qu’ils n’avaient pas une vision approfondie du chemin, mais surtout de l’arrivée. Placez des jalons. Des étapes. Des victoires. Prévoyez des échecs, des retours en arrière, des plans B !

9. Ne cédez pas aux démons de la violence.

Vous vous souvenez de cette ligne sur un bout de papier ? Céder a la violence – qui peut pourtant si souvent apparaître comme légitime ou nécessaire – fera immanquablement basculer une part de vos soutiens de l’autre côté de la barre. Facile à dire bien entendu, mais si l’auteur se place sur le paradigme de la non violence (amusante et ludique, qui plus est !) c’est qu’elle a démontré qu’elle peut ancrer les changements dans une société bien plus durablement que la violence. Les chiffres sont clairs, un mouvement qui se base sur la non violence a bien plus de chances (2 à 3 fois plus !) de réussir ET de durer dans le temps.

10. Finissez ce que vous avez commencé.

En corollaire à la planification, si cous avez un objectif clair, ne vous laissez pas endormir par vos victoires intermédiaires. Ces victoires d’étape, il vous faut absolument les célébrer, ne pas le faire serait une erreur, ne fut-ce que pour savourer le fruit du travail accompli, mais aussi pour faire savoir à ceux qui sont encore de l’autre côté de la ligne sur votre bout de papier que les vainqueurs sont potentiellement vous. Les exemples de mouvements qui en sont restés à célébrer les victoires intermédiaires sans aller plus loins sont nombreux. Mon exemple préféré (ce n’est pas un exemple de l’auteur mais un des miens): les partis écologistes, arrivés au pouvoir sur des intentions nobles mais qui, se pensant vainqueurs, sont rentrés dans le système politique en s’y fondant, se rendant ainsi inopérants pour la suite du projet (et j’admet que mon exemple puisse être contestable 😅).

Bref, voilà les points d’attention que l’auteur relève, fort de son expérience et de ses observations, pour autant que l’on soit dans une démarche non violente. Je conçois qu’elle ne soit pas la seule a être valide, et je crois pour ma part que tous les activismes, quels qu’ils soient, sont complémentaires et devraient bien plus se parler plutôt que de se dénigrer et se tirer dans les pattes (même l’écologie politique, c’est dire !).

Je ne sais pas encore si je vais ressortir quelque chose de concret de cette lecture. Mais tout de même, ne fut-ce que pour le message général (« tu n’es pas insignifiant ! Plein de gens dit insignifiants ont initié des changements énormes et durables »), c’est un bouquin qui fait du bien. Bien loin de me faire me sentir tout puissant, il m’a en tout cas montré qu’il est possible que je ne serve pas à rien, qu’il reste possible, tant qu’il n’est pas trop tard, de contribuer à inverser les tendances.

Et vous ? Jusqu’où seriez vous prêt à aller ? Dans l’action, et dans votre for intérieur ?

Et surtout… Pensez-vous vraiment être aussi petit qu’on voudrait vous le faire croire ?

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