vendredi , 19 avril 2024

Les puits de carbone (ou de CO2)

Dernière modification le 28-7-2022 à 17:40:16

Stocks et flux de carbone: le cycle «naturel» (avant 1750)  en noir, et l’effet de l’activité humaine en rouge. Les flux anthropiques (flèches rouges) correspondent à la moyenne de la décennie 1990, les variations de stocks anthropiques (± chiffre rouges) montrent les conséquences globales de l’activité humaine, de 1750 à 1994. (Source: GIEC, 4è rapport d’évaluation, 2007)

Le podcast

Temps de lecture 8 minutes

Qu’est-ce ?

Un puits de carbone1 est un réservoir qui absorbe, par un mécanisme naturel ou artificiel, le carbone atmosphérique. Les principaux puits de carbone sont les océans (l’eau et les organismes qui y vivent) et certains milieux continentaux comme les forêts (la végétation et le sol) et les tourbières.

Pourquoi est-ce important ?

Le carbone a toujours circulé dans notre biosphère, d’un réservoir à l’autre, selon ce que l’on nomme le cycle du carbone (illustration ci-dessus).
Avant le début de l’ère industrielle, les échanges de carbone entre les océans (38’000 GtC), la végétation vivante ou morte (2’300 GtC) et l’atmosphère (600 GtC) étaient à l’équilibre. L’important stock de combustibles fossiles (3’700 GtC) se constituait alors très lentement à partir des réservoirs terrestres et marins.

Cela signifie que la quantité de carbone présent dans chacun de ces grands réservoirs était presque constante, et donc que la concentration de gaz à effet de serre (CO2 et CH4) [LIEN à venir sur fiche «Gaz à effet de serre»] dans l’atmosphère variait peu et très lentement (variations de 180 à 280 PPM selon des cycles d’environ 100’000 ans pour le CO2)2.

Mais l’exploitation des stocks d’énergie fossile (charbon, pétrole et gaz naturel) a perturbé ces flux naturels, en augmentant la quantité de CO2 émis dans l’atmosphère (+6.4 GtC / an). Le changement d’usage des sols, en particulier la déforestation, a aussi significativement contribué à intensifier le flux de carbone vers l’atmosphère (+1.6 GtC / an).

Ce surplus de carbone émis dans l’atmosphère par les activités humaines est directement absorbé pour moitié environ par des puits de carbone naturels, empêchant ainsi une augmentation encore plus rapide de la concentration de gaz à effet de serre.

Plusieurs mécanismes sont à l’œuvre

Le puits continental

Le captage terrestre initial est dû à la photosynthèse. Sous l’action de la lumière, les végétaux convertissent du dioxyde de carbone (CO2) en oxygène (O2), et créent leur propre matière organique grâce au carbone ainsi capté.
Lorsque ces végétaux meurent, une partie du carbone séquestré est relâché dans l’atmosphère (par la respiration des micro-organismes qui les décomposent), et une autre partie est captée dans le sol, qui constitue ainsi un puits au fonctionnement plus lent.
Dans les milieux particulièrement humides, le manque d’oxygène limite cette décomposition, ce qui forme de la tourbe, maximisant la séquestration à long terme du carbone.

Le puits océanique

Le captage de carbone marin se fait en plusieurs étapes. Dans un premier temps, l’atmosphère échange du CO2 avec la surface des océans3, de manière à équilibrer leur pression partielle. Concrètement, plus la quantité de CO2 dans l’atmosphère est élevée, plus l’absorption de ce Co2 sera importante dans l’eau de surface des océans.
Le CO2 contenu dans l’eau de surface peut ensuite être converti par la photosynthèse (algues et phytoplancton [LIEN à venir sur fiche «Phytoplancton»]) et la calcification (coraux, coquillages).

Questions actuelles, débats, controverses, et en Suisse ?

Plusieurs phénomènes liés au réchauffement climatique menacent le bon fonctionnement de ces puits de carbone, constituant ainsi de nombreuses boucles de rétroaction positives.

Perturbation des puits continentaux

L’effet sur les forêts de l’augmentation des températures et de la teneur en CO2 de l’air est encore mal compris et sujet à débat. On pourrait dans un premier temps assister à une augmentation du captage de carbone (le CO2 dope la croissance des arbres4, et une augmentation progressive de la température permettrait aux forêts de s’étendre en direction des pôles). Mais une augmentation trop brutale des températures nuit au bon fonctionnement des forêts existantes. En effet, au-delà d’un certain seuil d’augmentation de température, l’accroissement de l’activité des micro-organismes qui décomposent les végétaux morts en libérant du CO2, compenserait le gain de surfaces forestières. Ces phénomènes combinés pourraient transformer les forêts en source nette de carbone.

Les épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et prolongés induisent une augmentation des feux de forêt. Hormis dans les zones boréales5, où l’augmentation de l’albédo pourrait compenser la perte de l’effet puits de carbone des arbres brûlés, la majorité des feux de forêt contribuent globalement à amplifier l’effet de serre. C’est le cas notamment des incendies naturels et accidentels en Australie6 ou en Californie(( L’ouest des États-Unis continue de brûler, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-images-ouest-etats-unis-continue-bruler-82575/ )), qui ont relâché très rapidement une énorme quantité de CO2 dans atmosphère. C’est également le cas de la déforestation amazonienne(( Les forêts tropicales, un puits de carbone 6 fois plus important que prévu, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/developpement-durable-forets-tropicales-puits-carbone-6-fois-plus-important-prevu-36420/ et lien sur l’étude de l’American Association for the Advancement of Science advances.sciencemag.org/content/5/10/eaax2546 )), indonésienne ou africaine, où le remplacement d’une forêt (souvent brûlée) par de la culture céréalière contribue durablement à la diminution du puits de carbone continental.

L’augmentation des températures et la présence de fertilisants azotés favorisent quant à eux l’embroussaillement des tourbières7, réduisant leur capacité à emprisonner durablement le carbone atmosphérique. Les tourbières du Jura Suisse pourraient par exemple ainsi à terme passer de puits à source de carbone8.

Perturbation des puits océaniques

Les deux mécanismes permettant d’extraire le CO2 de la couche supérieure des océans sont eux aussi menacés.
L’augmentation très rapide des températures près des pôles perturbe les deux moteurs de la circulation thermohaline des océans9 que sont la différence de salinité et de température. Ceci conduit à une stratification des océans, empêchant les eaux de surface riches en CO2 de plonger près des pôles pour rejoindre l’océan intermédiaire et profond. Le phytoplancton [LIEN à venir sur fiche « Phytoplancton »] dépend lui aussi d’un apport de nutriment assuré par cette circulation verticale entre les eaux de surface et de profondeur10.

Le CO2 pouvant moins bien se dissoudre dans de l’eau chaude que de l’eau froide, un réchauffement global des océans limitera aussi son efficacité en tant que puits de carbone.

En outre, en absorbant le carbone présent dans l’atmosphère, les océans s’acidifient. Donc plus la concentration de CO2 de l’atmosphère augmentera, plus les océans seront acides. De nombreux organismes marins, comme les coraux11 et les mollusques à coquille souffrent déjà de ce phénomène. La diminution du pH de leur environnement entrave la calcification de ces animaux marins(( L’acidification des océans entrave la calcification des animaux marins, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/developpement-durable-acidification-oceans-entrave-calcification-animaux-marins-18526/ )). Ceci contribue aussi bien à la perte de biodiversité sous-marine qu’au captage du carbone des eaux peu profondes par ces organismes.

Puits de carbone artificiels (ou CCS)

Devant l’ampleur du défit climatique, de nouvelles directions sont explorées pour augmenter le captage et la séquestration du CO2 atmosphérique, ou CCS en anglais

Malgré le faible déploiement actuel de ces technologies (en raison de son prix prohibitif pour les industries), la majorité des scénarios visant à rester sous la barre des 2°C tablent sur une très forte augmentation de sa mise en œuvre. Le GIEC a publié en 2005 un rapport sur le sujets(( Rapport du GIEC sur les CSS: www.ipcc.ch/report/carbon-dioxide-capture-and-storage/ )).

Certaines méthodes visent à extraire le CO2 directement depuis l’atmosphère comme la société suisse Climeworks12, imitant ainsi les puits de carbone naturels. Mais la teneur en CO2 n’étant que de 0.04 % dans l’air ambiant (environ 400 PPM), les coûts financier et énergétique associés à cette méthode l’orientent majoritairement vers des applications de revalorisation du CO2 (boissons gazeuses, synthèse de carburant, dopage de culture sous serre) que de séquestration à long terme.

Le CSS couplé aux centrales à gaz ou au charbon ne constituent quant à lui pas un puits de carbone à proprement parler, puisqu’il permet uniquement à ces centrales de libérer moins de CO2 dans l’atmosphère que si elles n’en sont pas équipées. Il faut donc plutôt le voir comme une optimisation de système existant.

Mais d’autres technologies, comme le BECCS (Bio-energy with carbon capture and storage13 ) combinent production d’électricité à partir de biomasse et capture directe des émissions produites. La biomasse captant sensiblement autant de carbone atmosphérique pour se constituer qu’elle n’est émet en brûlant, cette technologie est donc bien un puits de carbone net.

La dernière piste actuellement au stade théorique est la géo-ingénierie. Elle consisterait à modifier artificiellement le climat, par exemple en fertilisant les océans ou en augmentant la teneur du sol en CO2 par des transformations chimiques à large échelle. Mais ce renforcement artificiel des puits de carbone naturels n’est pas sans danger, car il perturberait dans des proportions gigantesques les écosystèmes marins et terrestres, avec des conséquences à long terme inconnues et sans doutes dangereuses pour la biodiversité et la stabilité du climat.

Compléments web

Compléments vidéos

Compléments jeunes

  1. Définition du puits de carbone www.futura-sciences.com/planete/definitions/climatologie-puits-carbone-13132/ []
  2. Historique du CO2 dans l’atmosphère en.wikipedia.org/wiki/Carbon_dioxide_in_Earth%27s_atmosphere []
  3. Relation entre température et efficacité du puits de carbone océanique www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-climat-retroactions-question-cle-sensibilite-climatique-1436/page/3/ []
  4. Le CO2 fait pousser les forêts plus vite, article de vularisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/developpement-durable-dioxyde-carbone-fait-pousser-forets-plus-vite-22469/ []
  5. L’albédo compense la déforestation en région boréale, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/developpement-durable-rechauffement-climatique-albedo-compense-deforestation-34176/ []
  6. Les incendies en Australie vont participer à une augmentation record des niveaux de CO2, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/gaz-effet-serre-incendies-australie-vont-participer-augmentation-record-niveaux-co2-79452/ []
  7. Les tourbières, puits de carbone aujourd’hui, sources demain , article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-tourbieres-puits-carbone-aujourdhui-sources-demain-43639/ et résumé de l’étude publiée dans la revue Nature www.nature.com/articles/nclimate1781 []
  8. La tourbière, laboratoire du changement climatique, article de presse www.24heures.ch/suisse/tourbiere-laboratoire-changement-climatique/story/18436210 []
  9. Définition de la Circulation thermohaline www.futura-sciences.com/planete/definitions/oceanographie-circulation-thermohaline-2469/ []
  10. Océan : le phytoplancton subit un déclin inquiétant depuis 150 ans, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/planete/actualites/oceanographie-ocean-phytoplancton-subit-declin-inquietant-depuis-150-ans-24616/ et études de la revue Nature www.nature.com/articles/s41586-019-1181-8 et www.nature.com/articles/nature09268 []
  11. Acidification des océans : la vie marine risque d’être gravement touchée, article de vulgarisation www.futura-sciences.com/sante/actualites/biologie-acidification-oceans-vie-marine-risque-etre-gravement-touchee-21692/ et étude parue par The Geological Society of America pubs.geoscienceworld.org/gsa/geology/article-abstract/37/12/1131/103987/Marine-calcifiers-exhibit-mixed-responses-to-CO2 []
  12. Pomper le CO2 atmosphérique, une fausse bonne idée? article de presse www.swissinfo.ch/fre/%C3%A9missions-n%C3%A9gatives_pomper-le-co2-atmosph%C3%A9rique—une-fausse-bonne-id%C3%A9e–/44506426 []
  13. Bio-energy with carbon capture and storage, définition en.wikipedia.org/wiki/Bio-energy_with_carbon_capture_and_storage []