lundi , 3 mars 2025

Olivier Hamant, « La troisième voie du vivant »

Dernière modification le 7-2-2025 à 13:48:30

Note de lecture: Olivier Hamant, « La troisième voie du vivant », 2022, Odile Jacob.

Préambule…

Depuis longtemps, l’humanité scrute et observe la nature et le vivant de près afin de s’en inspirer pour le développement de ses technologies et parfois même de son organisation sociale… Mais ce vivant, si inspirant, a-t-il été bien compris ? N’avons-nous pas nous-mêmes projeté sur lui, à chaque époque, les enjeux de celles-ci ?

Les récentes découvertes en biologie nous indiquent que nous nous fourrions certainement tous les doigts dans les yeux : l’idée qui perdure (parmi bien d’autres idées fausses et préconçues parfaitement déconstruites par Marc-André SELOSSE dans son excellent ouvrage « Nature et Préjugés » [0]) est que la nature serait une machine bien huilée, performante, (hyper)efficace. Nous savons maintenant qu’il n’en est rien : elle gaspille énormément, est en quasi permanence sous-optimale, ses rendements sont ridiculement bas. Pis encore, nous aurions très mal interprété des auteurs fondateurs, tel Darwin : il ne dit en effet pas que ce sont les plus adaptés qui survivent, mais bien les plus adaptables ! Si la différence de vocable n’est que de quelques lettres, cela change complètement la donne, et la vision d’un monde qui serait inspiré par la nature n’a plus rien de comparable à ce que nous en avons fait.

Nous inspirant des projections anthropocentrées de nos observations du vivant, nous avons développé, et le faisons encore, le culte de la performance : atteindre notre but avec le moins de ressources possibles.

Cela nous coince dans une voie sans issue : les êtres vivants sont constamment soumis à des variabilités de leur environnement, celui-ci change en permanence avec plus ou moins de rapidité : climats, bouleversements géologiques, cycles de l’eau, natures des sols, espèces en compétition, catastrophes naturelles, … tout est mouvement permanent. S’il y a une chose permanente dans la nature, c’est son impermanence. Face à ces « aléas » de l’environnement, il semble trivial de dire que c’est sa capacité à s’y adapter qui fait qu’une espèce peut survivre ou non. Or les individus ultra efficaces dans un environnement donné – et donc très bien adaptés, très efficaces, très performants – n’ont que très peu de marge de manœuvre pour survivre à une modification de leur milieu de vie. A l’inverse, les espèces qui ont conservé une forme de sous-optimalité, et donc une meilleure marge de manœuvre, sont plus enclines à utiliser ce « jeu dans leurs rouages » pour s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Malgré les changements, ils survivent : ils sont robustes.

Finalement, en quoi tout cela peut bien nous concerner ? Qu’est-ce que ce constat peut bien changer à nos petites affaires ? Après tout, l’humanité s’en est toujours tirée, et les observations des performances du vivant sont tout de même bien réelles ! Notre intelligence alliée au développement de nos technologies trouvera toujours une ,issue de secours, une solution à chacun de nos problèmes, comme elle l’a toujours fait. Sauf que…

Sauf que ce développement de la performance, de rouages parfaitement huilés et alignés, optimaux en tout, est relativement bien adapté à un monde stable en tendance. Il l’est beaucoup moins dans un monde très fluctuant. Depuis le début de l’holocène (il y a de ça -10 à -11.700 ans selon les sources), l’humanité vit dans un environnement particulièrement stable, ce qui lui a permis de développer l’agriculture, les villes, les civilisations, le commerce, … : dans un monde qui est prévisible à plus ou moins long terme malgré les quelques aléas (on peut compter sur l’avenir en « moyennant » celui-ci : on sait que « en moyenne », notre environnement va évoluer de telle ou telle manière), définir des objectifs et déployer les moyens les plus performants pour les atteindre semble judicieux.

Or, cette quête de performance continue nous mène, on le sait maintenant, vers un monde particulièrement instable : nous avons dépassé au moins 6 des 9 limites planétaires (bientôt 7)[1], ce qui déstabilise fondamentalement les grands équilibres qui maintenaient les conditions d’habitabilité de la planète pour la vie telle que nous la connaissons ; nous avons tant tapé dans les stocks de ressources qu’elles s’amenuisent et compromettent un accès équitable à toutes les populations humaines, créant tensions économiques et géostratégiques. Il nous faut nous préparer à vivre non plus dans monde stable, en tendance (et donc prévisible à quelques aléas près), mais à vivre dans un monde d’extrêmes, de variabilités fortes… Nous devrions changer notre fusil d’épaule car nous ne devons plus regarder les moyennes, qui furent l’élément prédominant pour prévoir l’avenir, mais bien les extrêmes, qui vont sans nul doute conditionner les évolutions à venir : nous entrons dans un monde fluctuant, et à l’inverse du monde d’avant, chaque fluctuation est susceptible de remettre en cause nos projets, nos plans, nos stratégies basées précisément sur la performance et l’hyper optimisation.

En d’autres termes, nous devrons, de gré ou de force, accepter de baisser nos niveaux de performance, ajouter du jeu dans les rouages, des grincements et des frottements dans la machine, afin de conserver une marge de manœuvre suffisante pour réagir – nous adapter – aux aléas imprévisibles (un petit pléonasme n’est pas de refus) capables de saper nos efforts.

Ajouter de l’inefficacité, de la sous-optimalité, de la robustesse, c’est précisément faire entrer en jeu une boucle de rétroaction négative[2] capable de brider le cheval fou et incontrôlable qu’est devenue la performance, un sacerdoce non négociable, un culte inébranlable.

C’est à ce prix que, malgré les catastrophes d’un monde qui est en train de basculer (de s’effondrer diront certains, voir de collapser pour les plus pédants) nous avons une chance de nous en sortir avec le moins de casse possible : l’efficacité et la performance que nous avons à y perdre seront largement compensées par tout ce que nous avons à y gagner. Car au-delà de l’impression de devoir renoncer à notre hyper confort moderne (et encore, valable pour seulement une petite partie de l’humanité), c’est une opportunité unique de permettre à tous les vivants, humains comme non humains, de s’en tirer le plus dignement possible. Ce ne sera pas facile, ce ne sera sans doute pas sans casse ni souffrances, mais la robustesse est sans doute la voie du milieu (entre effondrement et croissance infinie), la 3ème voie, salvatrice, du vivant, tant que nous veillons à ce que cette proposition ne serve à justifier la pérennisation d’un système mortifère moyennant un ajustement de sous-optimalité.

Exploration !

Olivier Hamant nous invite d’abord à faire le constat de 3 principes fondamentaux du vivant : La vie est essentiellement circulaire : les ressources des uns sont les déchets des autres ; le vivant est fondamentalement collectif : les individus ont tendance à brider leur performance individuelle pour permettre la survie du groupe ; le vivant ne met pas l’accent sur la performance mais sur la robustesse : comme un sorte de boucle de rétroaction négative, elle tempère la performance, elle « résulte de procédés intrinsèquement et localement inefficaces et inefficients, c’est-à-dire opérant contre la performance ». Et c’est fondamental : « les interactions entre ces contre-performances créent un équilibre dynamique interne, une forme d’autonomie, qui permet de traverser les aléas de l’environnement » (p.9).

« Les interactions entre ces contre-performances créent un équilibre dynamique interne, une forme d’autonomie, qui permet de traverser les aléas de l’environnement ».

L’auteur nous liste ensuite une série d’externalités diaboliquement négatives issues de l’anthropocène[3] (l’époque de l’Homme, qui serait devenu le premier agent de modification de l’environnement, avant les forces naturelles qui régnaient en premier ordre jusque-là) : je ne les détaille pas ici, mais soyons clairs : les activités humaines ont tellement détérioré l’environnement que nos conditions de vie risquent d’être compromises. Olivier Hamant fait l’hypothèse, que je pense crédible, que « un moteur essentiel de l’anthropocène est notre conception de l’optimisation. […] L’optimisation est réduite à l’amélioration des performances. La performance elle-même peut être définie comme la somme de l’efficacité (atteindre son objectif) et de l’efficience (faire au mieux avec les moyens disponibles). Quand on optimise, on veut atteindre son objectif avec le moins de moyens possibles » (P22).

Or en nous acharnant sur la performance et l’optimisation, nous ne pouvons qu’aggraver encore notre pression sur l’environnement et les dégâts que nous lui infligeons, nous menant presqu’à coup sûr à notre perte, nous et les autres vivants. En cela, le XXIème siècle pourrait constituer « une révolution profonde en n’orientant plus le progrès vers les gains de performance, mais vers le maintien et la garantie de la robustesse. C’est la voie du vivant » (P.23).

Est-ce que cette course à l’optimisation pourrait être le résultat de notre câblage mental (striatum, dopamine et consorts[4]) comme certains ont tendance à la proposer ? Outre le fait que cette hypothèse soit de plus en plus critiquée[5], Olivier Hamant propose qu’une analyse superficielle de la psychologie ne soit pas suffisante pour expliquer le tropisme de l’optimisation qui conduit à l’anthropocène… il propose notamment qu’il s’agisse d’une propriété émergente de nos conflit armés, de nos guerre : les efforts de guerre sont précisément les moments où l’optimisation et la performance peuvent se justifier (de nombreux éléments de nos sociétés modernes sont directement issus des performances en temps de guerre, comme par exemple les engrais de la révolution verte, issus du procédé Haber-Bosch), mais que nous n’opérons jamais de retour en arrière, c’est l’effet de cliquet (il s’agit de gains irréversibles obtenus en temps de guerre).

Nous l’avons déjà vu : les gains d’optimisation et de performance nous ont menés tout droit dans l’anthropocène, et nous « entrons dans une période où les comportements des écosystèmes vont s’écarter de la norme, et devenir de plus en plus imprévisibles » (P.33). Or l’esprit humain intègre difficilement les rétroactions et les évolutions de ces aléas, et c’est « le premier talon d’Achille de l’optimisation : il est facile de savoir quoi optimiser, et comment le faire, quand le problème est bien circonscrit. L’optimisation est adaptée aux systèmes fermés. […] Si l’on ajoute les fortes incertitudes à venir, notre système devient très ouvert, et l’optimisation, de moins en moins pertinente » (P.33) Après quelques exemples joliment développés, il en arrive à la conclusion qu’« optimiser dans un système ouvert où les rétroactions sont peu prévisibles ne présente que des risques » (P.38).

C’est le premier talon d’Achille de l’optimisation : il est facile de savoir quoi optimiser, et comment le faire, quand le problème est bien circonscrit. L’optimisation est adaptée aux systèmes fermés. […] Si l’on ajoute les fortes incertitudes à venir, notre système devient très ouvert, et l’optimisation, de moins en moins pertinente. […] Optimiser dans un système ouvert où les rétroactions sont peu prévisibles ne présente que des risques ».

Alors, comment réagir ? Plusieurs hypothèses sont sur la table (je les passe rapidement en revue ici, chaque réaction est longuement développée dans le livre), et l’auteur suggère très à propos de suivre les 5 étapes de la courbe du deuil d’Elisabeth Kübler-Ross[6] : d’abord le statu quo (ou le déni): ne rien faire. Ou plutôt, laisser faire. Mais cela ne fera que nous précipiter plus sûrement encore vers l’abîme. L’activisme (ou la colère) ? Pourquoi pas, mais cela nous amène assez rapidement à la négociation, qui prend forme actuellement dans le « développement durable » : conserver des sociétés qui ne nuisent pas aux générations futures mais sans sacrifier notre confort et nos acquis (voire même généraliser ceux-ci à l’humanité entière, objectif parfaitement louable s’il en est)… avec en corollaire la transition énergétique et écologique, qui ne seraient finalement que des illusions[7] : on constate partout que nous restons bien incapables, énergie verte et croissance verte ou pas, de découpler notre empreinte environnementale de nos gains de confort, d’efficacité et d’optimisation : « le bilan global de la transition en cours reste celui d’une course à la performance économique, avant la prise en compte des contraintes environnementales » (P.60). Le fantasme chimérique de la numérisation, cette pseudo dématérialisation de nos sociétés, en est un des meilleurs exemples : sous prétexte d’optimisation du monde (tant de nos sociétés, que de nos flux, que de la nature elle-même), nous accroissons encore et encore la pression sur les écosystèmes via l’extraction des matières nécessaires à sa réalisation[8]. Il nous faut bien l’admettre, nous arrivons à la fin de la « modernité » (pour autant que nous ne l’ayons jamais été, aurait dit Bruno Latour[9]), ce qui signe la 4ème étape de la courbe du deuil, la dépression

C’est donc l’impasse de la performance, et « nous voici peut-être arrivés à une grille de lecture sur le chemin de l’acceptation. Notre monde ne va pas s’effondrer ou au contraire basculer dans le contrôle total, il va fluctuer comme jamais. […] C’est la voie de la robustesse, dont l’objet est de maintenir la stabilité du système malgré les fluctuations » (P.89).

C’est d’ailleurs ici que je pourrais formuler ma principale critique au développement des idées d’Olivier Hamant, et le risque principal que j’y associe : est-ce que la robustesse pourrait être un « ingrédient » à ajouter à la recette du système actuel, légitimant in fine son organisation et ses objectifs ? J’y vois en tout cas un risque non négligeable de récupération afin de faire perdurer les flux de matières et d’énergie, certes restreints (en apparence du moins), mais dont le métabolisme reste de transformer la nature en déchet[10] inerte, inutilisable par le reste du vivant (voir le principe de circularité du vivant en début d’article).

Le vivant, un modèle de sous-optimalité.

Quitte à ce que nous soyons tentés d’imiter le vivant, autant en copier le caractère responsable de sa longévité : sa sous-optimalité. Avec force d’exemples concrets, Olivier Hamant nous démontre que, contrairement à l’idée reçue, le vivant est loin d’être optimal : nous avons fondamentalement mal lu Darwin, ou à tout le moins en avons-nous eu une lecture « teintée de l’idéologie industrielle du XIXème siècle et ses suites dans le monde néolibéral contemporain. […] Darwin implique donc que ce ne sont pas les individus les plus adaptés qui survivent, mais les individus les plus adaptables. Cette nuance change tout puisqu’il ne s’agit pas d’être le plus compétitif mais au contraire de garder des marges de manœuvre. […] La sélection naturelle requiert donc une large part de non efficience » (P100-101). Il rappelle également que l’évolution a aussi très souvent conduit à des impasses, de nombreuses espèces ayant naturellement disparu au cours du temps. « Les progrès récents de la biologie nous apprennent que la stratégie de l’optimisation à toutes les échelles n’est tout simplement pas celle que l’évolution biologique a sélectionné au cours des milliards d’années passées » (P111).

« Les progrès récents de la biologie nous apprennent que la stratégie de l’optimisation à toutes les échelles n’est tout simplement pas celle que l’évolution biologique a sélectionné au cours des milliards d’années passées ».

Le vivant est donc sous optimal : « La sous-optimalité implique que le système ne fonctionne pas au maximum de ses capacités […]. Alors que l’optimisation fragilise, la sous-optimalité utilise les fragilités pour construire la robustesse. La sous optimalité se conçoit en fait à l’échelle de la population : la survie du groupe et son évolution passent devant le confort individuel ou l’amélioration des performances de chacun. Il s’agit donc d’une stratégie de résistance collective, fondée sur les défaillances et les fragilités individuelles » (P.112).

Le meilleur exemple de sous -optimalité que l’auteur nous donne (le livre en regorge, lisez-le !) à mon sens est celui de la fièvre : lorsque notre corps est à température normale, certains enzymes sont sous-optimales, elles n’utilisent pas leur plein potentiel. C’est lorsque la température de notre corps monte que ces enzymes peuvent fonctionner à plein régime et combattre les pathogènes ! Mais si la fièvre dure trop longtemps, c’est finalement la mort assurée pour nous (y verrez-vous une analogie avec la fièvre de l’anthropocène ? Moi, oui). En d’autres termes : notre corps fonctionne de manière sous-optimale pour que, en cas de problème, d’urgence, de besoin, il puisse temporairement utiliser la marge de manœuvre qu’il a pour réagir dans un élan de performance.

Il ne s’agit donc certainement pas de refuser toute performance ou optimalité, mais bien de les doser, dans l’espace et dans le temps.

Qu’est-ce qui fait la résilience du vivant ? Précisément ses contre-performances !

L’auteur passe d’abord par la définition de la résilience, qui selon lui est « la capacité d’un système à être robuste, adaptable et transformable » (P.122) :

  • « Un système est robuste quand il est capable de maintenir ses réponses dans une fourchette donnée malgré les perturbations qu’il subit »
  • « Un système est adaptable quand il est capable d’ajuster ses réponses tout en maintenant ses principales fonctions »
  • « Un système est transformable quand il peut évoluer vers un système différent, en modifiant sa structure et ses fonctions ».

L’auteur passe ainsi en revue une série de mécanismes sous-jacents de la résilience du vivant, à l’aide de nombreux exemples variés, soigneusement choisis, mais très parlants. Nous apprenons ainsi que le vivant utilise une foule de principes (je ne vous détaille pas chacun d’entre eux, parce que d’une part ce serait trop long, et d’autre part je ne tiens pas à ce que vous pensiez que vous pouvez vous dispenser d’acheter (ou emprunter) l’ouvrage et le lire vous-même) qui nous semblent, à nous adeptes de la performance, contre productifs, sous optimaux, contre intuitifs, mais qui, démonstrations à l’appui, ont bel et bien maintenu les conditions d’existence du vivant depuis si longtemps : Le hasard, la redondance, le gaspillage, l’hétérogénéité, les fluctuations, la lenteur, les hésitations, les incohérences, les erreurs, les imprécisions, les inachèvements et les imperfections. Le vivant ressemble très fort à un processus d’essais/erreurs aléatoires, d’où émergent parfois des coups de bols, souvent des déconfitures.

Tous ces mécanismes a priori inefficaces construisent et proposent un contre-modèle dont nous pourrions nous inspirer tout autant que les (réelles) performances du vivant. Car il est utile de le mentionner ici, Olivier Hamant ne prétend en aucun cas que le vivant n’est jamais efficace ou optimal : il l’est, dans certaines situations, ou pour certains de ses éléments, mais toujours de manière limitée dans l’espace (une partie spécifique d’un vivant, par exemple) et dans le temps (temporairement, sous certaines conditions). Nous avons pu penser que le vivant était super efficace car nous avons extrait nos observations locales du vivant de leur globalité, un biais dont il nous est maintenant difficile de nous séparer… et qui risquerait bien de se perpétuer si nous n’y prenons pas garde :

« Les promesses du monde bio-inspiré de demain ouvrent de vraies pistes d’avenir mais présentent aussi le risque d’une forme d’optimisation totale, parfaitement compatible avec l’idéologie du Good Anthropocène[11]. Nous nous trouvons à la croisée des chemins dans notre reconnexion à la Terre, en risquant de faire fausse route. Alors, si la bioéconomie circulaire est trop timide, et même parfois contre-productive, la sous-optimalité peut-elle offrir une voie plus systémique ? […]

« L’ensemble des incohérences, des lenteurs et des redondances contraignent la performance et ouvrent le champ des possibles. […] Finalement, la sous-optimalité considère la valeur des propriétés émergentes des interactions. Elle ne masque pas les coûts associés ; au contraire, elle en embrasse les effets souvent contre-intuitifs pour créer une nouvelle valeur, la robustesse. A ce titre, elle ouvre un nouvel infini » (P.172) ».

« L’ensemble des incohérences, des lenteurs et des redondances contraignent la performance et ouvrent le champ des possibles. […] Finalement, la sous-optimalité considère la valeur des propriétés émergentes des interactions. Elle ne masque pas les coûts associés ; au contraire, elle en embrasse les effets souvent contre-intuitifs pour créer une nouvelle valeur, la robustesse. A ce titre, elle ouvre un nouvel infini« .

En effet, nous prenons aujourd’hui de plus en plus conscience que l’infini de notre croissance matérielle et économique se heurte aux frontières planétaires, aux lois de la physique, de la chimie, de la biologie… L’auteur propose donc de rechercher un nouvel infini, celui des interactions, qui « serait donc à la fois un premier pas vers une critique de l’optimisation et son simplisme, et une voix plus intime pour comprendre notre place et nos liens dans ce monde » (P.174).

Il explore une série de pistes sous-optimales (en tout cas vues sous l’égide du culte de la performance), déjà relativement bien connues, discutées, débattues, voire même encore décriées, mais qui, reliées ensemble et vues sous l’angle de la robustesse, des interactions et de leurs propriétés émergentes, forment un ensemble cohérent et à priori viable (mais dont l’opérabilité demanderait, à mon sens, d’être un rien mieux développée). Il passe donc en revue l’agroécologie, un modèle social inclusif (et notamment la notion de liberté individuelle dans un cadre collectif), la coopération et les communs[12], le droit des non humains, la notion de travail et de sa répartition, la redistribution des richesses, la décentralisation des pouvoirs, la fin de l’hyper personnalisation (typique de la performance), la sobriété (vue comme les conditions qui nous placent dans une situation où la consommation et le gâchis ne sont plus des problèmes), la décroissance (qui n’est, pour rappel, pas un but en soi mais un moyen de parvenir à une société post croissance dont l’économie serait en corrélation avec les limites planétaires[13]), la lenteur, la souplesse, la culture, la langue, et la fameuse sérendipité qui lui est chère (le hasard des rencontres passées permettant de nouvelle collisions d’idées), et j’en passe. Bref, plus qu’un programme, c’est une véritable invitation à revoir nos valeurs générales…

En guise de conclusion…

Je vois dans la proposition d’Olivier Hamant une manière habile, enviable et joyeuse de modifier les externalités de notre système actuel, qui est en train de compromettre nos propres conditions de survie, de modifier cette intention et ces valeurs.

Nous avons visiblement bien du mal changer de trajectoire[14] malgré la voiture électrique [15], la transition énergétique, la croissance verte, le développement durable, la numérisation, les Green New Deals et j’en passe… c’est parce que tout cela reste précisément dans un paradigme d’optimisation et d’efficacité : peut-être Olivier Hamant donne-t-il là un des paramètres fondateurs à même de redéfinir l’architecture globale de notre système complexe. Sans changer cette intention, cette valeur, cet élan, nous n’avons que peu de chances de parvenir à nous sauver nous-mêmes, à sauver le vivant tel que nous le connaissons à ce jour.

Reste une question ouverte, d’après moi : la robustesse telle que définie par Olivier Hamant pourrait-elle justifier que nous continuions à soutenir le système actuel, « agrémenté » de la notion de robustesse ? Je pense qu’il s’agit là d’un vrai risque [16]. Si la robustesse est une propriété émergente plus qu’intéressante de la sous-optimalité couplée aux interactions, prenons garde de ne pas la fourvoyer au profit d’un système délétère qui pourrait dès lors continuer à fonctionner moyennant cet ajustement.

Peut-être la robustesse est-elle simplement la base d’un nouveau système à construire en marge de l’actuel, prêt à prendre le relais quand celui-ci s’effilochera ? Il a déjà commencé à fléchir. A nous d’être prêts, à nous d’être…

Références

Vérifier aussi

Votation « Pour une économie responsable respectant les limites planétaires »

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