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Le mazout raffiné à condensation préserve l’environnement ?

Dernière modification le 17-11-2025 à 15:36:30

Même dans une chaudière moderne à condensation, le mazout reste un combustible fossile fortement émetteur de CO₂, avec des émissions de l’ordre de 250–300 g CO₂ (et plus en CO₂-éq) par kWh de chaleur utile, soit plusieurs fois plus qu’une pompe à chaleur alimentée par l’électricité suisse actuelle [Umweltbundesamt].

L’amélioration d’efficacité permise par la condensation (10–15 % en conditions optimales) ne change pas la nature du problème : on brûle toujours du pétrole, avec un facteur d’émission par unité d’énergie quasi inchangé [energy.gov.au].

Que désigne vraiment « mazout raffiné à condensation » ?

D’un point de vue technique, on mélange ici deux choses différentes :

Le combustible

    • Il s’agit de mazout extra-léger (light fuel oil, distillate fuel oil n°2), un distillat pétrolier très proche du diesel routier [OECD].
    • « Raffiné », « extra-léger », « faible teneur en soufre » renvoient surtout à :
      • une teneur réduite en soufre (moins de SO₂, donc un peu moins de pollution de l’air locale),
      • parfois des additifs améliorant légèrement la combustion.
    • Cela ne change presque pas la teneur en carbone du carburant ni, donc, le CO₂ émis par unité d’énergie.

La chaudière à condensation

    • « À condensation » ne décrit pas le mazout, mais la technologie de la chaudière :
      • la chaudière récupère une partie de la chaleur contenue dans la vapeur d’eau des fumées,
      • en pratique, les chaudières modernes à condensation atteignent 92–95 % de rendement nominal, contre ~80–85 % pour beaucoup d’anciennes chaudières non-condensation [energy.gov.au].
    • Des études en conditions réelles montrent toutefois que le gain effectif est souvent plus modestement 6–18 %, selon le réglage, le régime de température et l’installation [docs.nrel.gov].

En résumé :

« Raffiné » = qualité du mazout (légère baisse de SO₂, pas de révolution sur le CO₂).
« À condensation » = type de chaudière (meilleure efficacité, mais toujours fossile).

Parler de « nouveau mazout écolo » est donc un abus de langage : on reste dans la logique d’un chauffage pétrolier, légèrement optimisé.

Ordres de grandeur : combien de CO₂ émet le mazout ?

Facteurs d’émission de base

Les facteurs d’émission standard pour le mazout extra-léger sont très bien connus et convergents :

  • L’agence allemande de l’environnement (Umweltbundesamt) donne pour le mazout léger un facteur de 74 t CO₂ / TJ, identique à celui du diesel [Umweltbundesamt].
  • L’US Energy Information Administration (EIA) fournit pour le distillate fuel oil (diesel & heating oil) :
    • 10,19 kg CO₂ par gallon, soit ≈ 2,7 kg CO₂ par litre,
    • et le même facteur de 74,14 kg de CO₂ par millier de mégajoules (≈74 t/TJ), selon les données de l’EIA [eia.gov].
  • Des synthèses indépendantes (Carbon Independent, National Energy Foundation, etc.) arrivent à 2,5–3,0 kg CO₂ par litre, en intégrant ou non une partie des émissions amont (extraction, transport, raffinage) [carbonindependent.org].

Pour l’ordre de grandeur, on peut donc retenir :

1 litre de mazout → environ 2,6–3,0 kg CO₂-éq, combustion + chaîne d’approvisionnement.

Par kWh de chaleur utile

  • Avec une valeur typique de 10 kWh de chaleur par litre dans une vieille chaudière (~80 %), et un peu plus dans une chaudière à condensation bien réglée, on obtient : carbonindependent.org
    • ≈0,25–0,30 kg CO₂ (250–300 g) par kWh de chaleur utile, même avec une bonne chaudière.

À comparer :

  • Pompes à chaleur avec électricité suisse (mix ≈33 g CO₂/kWh) [energyscope.ch] :
    • COP 3 : ≈ 11 g CO₂/kWh de chaleur (hors fabrication) ;
    • COP 2,5 : ≈ 13 g CO₂/kWh.
  • Réseaux de chaleur suisses : ≈60–70 g CO₂-éq/kWh en moyenne, et parfois moins selon le mix (biomasse, chaleur fatale, etc.) [ewz.ch].

Conclusion : même « optimisé », le mazout reste plusieurs fois plus émetteur que les solutions non fossiles.

Que change réellement la condensation pour le climat ?

Les études techniques et de terrain sur les chaudières à condensation montrent que :

  • Sur le papier, le rendement peut passer d’≈80–85 % à ≈92–95 %, soit un gain théorique d’environ 10–15 % [energy.gov.au].
  • En réalité, la plupart des installations ne fonctionnent pas en condensation permanente (températures trop élevées, régulation sous-optimale). Les évaluations in situ estiment souvent le gain à 6–18 % selon les cas [docs.nrel.gov].

Sur le CO₂ :

  • Améliorer le rendement de 10 % signifie ≈10 % de CO₂ en moins par kWh de chaleur, pas plus.
  • On passe typiquement de ~280–300 g CO₂/kWh à ~250–270 g/kWh :
    c’est mieux que l’ancien mazout, mais très loin d’une solution « neutre » ou « respectueuse du climat ».

Autrement dit :

La condensation est une amélioration d’efficacité, pas un changement de paradigme. On reste dans un système à haute intensité carbone, incompatible avec la décarbonisation profonde exigée par l’Accord de Paris et les scénarios du GIEC [ipcc.ch].

Ce que disent les analyses de cycle de vie (ACV) sur les systèmes de chauffage

Les facteurs d’émission directs ne racontent qu’une partie de l’histoire. Les analyses de cycle de vie (ACV) permettent de comparer les systèmes sur l’ensemble de la chaîne (fabrication, combustible, fonctionnement, fin de vie).

Suisse : inventaires d’Empa / Carbotech pour l’OFEV

La Confédération a mandaté plusieurs mises à jour d’inventaires d’ACV pour les systèmes de chauffage (gaz, mazout, bois, pompes à chaleur, réseaux de chaleur, etc.) [ecobau.ch].

Les conclusions qualitatives sont constantes :

  • Les systèmes à mazout (même modernes) sont parmi les plus émetteurs par kWh de chaleur, une fois intégrés :
    • les émissions de combustion,
    • l’extraction et le raffinage,
    • le transport.
  • Les pompes à chaleur (surtout avec mix électrique bas carbone comme en Suisse) et les chauffages à bois moderne (pellets, copeaux, bûches dans des installations performantes) présentent des impacts climatiques nettement plus faibles par kWh.
  • Les réseaux de chaleur alimentés par chaleur fatale, biomasse, ou grandes pompes à chaleur se situent également bien en dessous du mazout, même en tenant compte des pertes du réseau [ise.unige.ch].

Études scientifiques internationales

Plusieurs travaux académiques convergent :

  • Johnson (2012) compare l’empreinte carbone des systèmes au mazout et au GPL ; il montre que le basculement vers des systèmes électriques efficaces (notamment pompes à chaleur) permet de réduire fortement les émissions sur le cycle de vie, surtout dans les pays disposant d’un mix électrique peu carboné [ScienceDirect].
  • Des ACV régionales (par ex. pour le canton de Genève) confirment que les scénarios de transition vers pompes à chaleur et réseaux de chaleur réduisent significativement les impacts climatiques par rapport au maintien du mazout [ise.unige.ch].

Ces études ne parlent pas de « mazout écolo ». Elles posent une question simple :

Quel système de chauffage permet de fournir 1 kWh de chaleur avec le moins de CO₂-éq possible sur l’ensemble du cycle de vie ? La réponse est systématiquement : pas le mazout, même « raffiné » et avec chaudière à condensation.

Mazout et objectifs climatiques (GIEC, IEA, Suisse)

Perspective globale

Le GIEC (AR6) rappelle que pour limiter le réchauffement à 1,5–2 °C, les émissions du système énergétique doivent baisser de 60–97 % d’ici 2050 selon les scénarios [ipcc.ch].

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne que :

  • Le chauffage des bâtiments représente une part majeure des émissions mondiales de CO₂, avec plusieurs gigatonnes par an liées à la combustion directe de combustibles fossiles (gaz, mazout, charbon) dans les chaudières [IEA].
  • Les trajectoires compatibles avec la neutralité carbone requièrent :
    • la sortie progressive des chaudières au mazout et au gaz,
    • le déploiement massif des pompes à chaleur, de la rénovation énergétique et de la chaleur renouvelable (bois, solaire thermique, géothermie).

Cadre suisse

  • Les statistiques CO₂ de l’OFEV séparent clairement les combustibles thermiques (mazout, gaz, charbon) utilisés pour le chauffage et l’industrie, des carburants routiers. Les émissions de ces combustibles sont au cœur de la politique climatique (taxe CO₂ sur le mazout extra-léger et le gaz) [Office Fédéral de l’Environnement].
  • Les inventaires d’ACV pour les systèmes de chauffage (Carbotech/OFEV, Empa, etc.) sont utilisés comme base scientifique pour les politiques de rénovation, les programmes de subvention et les recommandations officielles [ecobau.ch].

Dans ce cadre, présenter un « nouveau mazout écolo » comme une solution climatique est en contradiction avec :

  • les données d’émission par litre et par kWh ;
  • les ACV comparatives ;
  • les trajectoires de décarbonisation mises en avant par le GIEC et l’AIE.

Pourquoi le discours du « mazout écolo » est problématique

Scientifiquement, le problème n’est pas que des chaudières à condensation soient un peu meilleures que les vieilles installations : c’est vrai, et c’est mesurable.

Le problème, c’est ce qu’on en fait dans le discours public :

  1. Glissement sémantique
    • On passe d’une amélioration d’efficacité (10–15 %) à des slogans comme « respectueux du climat » ou « écologique », alors que les émissions restent d’un ordre de grandeur supérieur à celles des pompes à chaleur ou des réseaux de chaleur renouvelables.
  2. Verdissement d’un verrou technologique
    • Investir dans une nouvelle chaudière au mazout, même très performante, verrouille des émissions fossiles pour 20–25 ans.
    • Chaque installation neuve de ce type rend plus difficile d’atteindre les objectifs climatiques du canton et de la Confédération.
  3. Détournement de l’attention
    • Au lieu de centrer le débat sur les options alignées avec la neutralité carbone (isolation, sobriété, pompes à chaleur, bois local durable, réseaux de chaleur, etc.), on entretient l’idée qu’on peut « continuer comme avant » avec un simple ajustement technologique.
  4. Contradiction avec la hiérarchie SER du GIEC
    • Le GIEC propose la séquence Suffisance → Efficacité → Renouvelables (SER) pour les bâtiments :
      1. réduire les besoins (isolation, régulation, compacité),
      2. améliorer l’efficacité des systèmes,
      3. basculer sur des sources non fossiles [ipcc.ch].
    • Le « mazout raffiné à condensation » saute purement et simplement la troisième étape, et bloque la transition vers des solutions renouvelables.

Conclusion synthétique

D’un point de vue scientifique :

  • Le mazout extra-léger reste un combustible fossile à très forte intensité carbone : ≈2,6–3,0 kg CO₂-éq par litre, ≈250–300 g CO₂/kWh de chaleur utile, même avec condensation [Umweltbundesamt].
  • Les chaudières à condensation améliorent le rendement de 10–15 % dans le meilleur des cas, mais ne changent pas la nature fossile du système [energy.gov.au].
  • Les analyses de cycle de vie commandées par l’OFEV et la littérature internationale mettent systématiquement le mazout dans la catégorie des systèmes de chauffage les plus émetteurs, loin derrière les pompes à chaleur, le bois moderne, ou les réseaux de chaleur renouvelables [ecobau.ch].
  • Les trajectoires climatiques compatibles avec l’Accord de Paris nécessitent une sortie progressive du mazout, pas son rebranding marketing en « solution verte » [ipcc.ch].

Parler de « nouveau mazout écolo » revient donc à verdir un combustible fossile dont l’intensité carbone est connue, documentée, et incompatible avec une décarbonisation profonde du chauffage.

À court terme, remplacer une très vieille chaudière par une condensation peut se défendre comme mesure transitoire dans des situations très spécifiques. Mais présenter cela comme une solution « respectueuse du climat » est scientifiquement infondé et politiquement dangereux.

Références

  • Umweltbundesamt (2016) – CO₂ Emission Factors for Fossil Fuels. Tableaux d’émissions pour les combustibles fossiles, incluant le mazout léger (light fuel oil) à 74 t CO₂/TJ. (Umweltbundesamt)
  • US Energy Information Administration (EIA) – Carbon Dioxide Emissions Coefficients by Fuel. Facteurs d’émission pour le distillate fuel oil (diesel & heating oil) : 10,19 kg CO₂/gal, 74,14 kg CO₂/MMBtu. (eia.gov)
  • Carbon Independent / National Energy Foundation – Emissions from home energy use – Heating oil. Facteur d’environ 2,96 kg CO₂/litre (incluant amont), soit ~0,245 kg CO₂/kWh utile. (carbonindependent.org)
  • Jungbluth N. (2018) – Life cycle inventories of oil heating systems. ESU-services / bases ecoinvent & KBOB. Inventaires détaillés des chaudières au mazout en Suisse. (ESU-services)
  • Kägi T. et al. (2024) – Life cycle inventories of heating systems. Étude Carbotech AG mandatée par l’OFEV (FOEN). ACV comparatives des systèmes gaz, biométhane, pompes à chaleur, réseaux de chaleur, bois, etc. (ecobau.ch)
  • Da Silva Montenegro N. (2023) – Life cycle assessment of residential heating systems in Geneva: Current and projected environmental impacts. Université de Genève, mémoire de maîtrise. Analyse ACV des scénarios de chauffage pour le canton de Genève. (ise.unige.ch)
  • Johnson E.P. (2012) – Carbon footprints of heating oil and LPG heating systems. Energy Policy 39(6). Comparaison des empreintes carbone de systèmes au mazout, GPL et alternatives. (ScienceDirect)
  • IEA (2023) – Analyses sur la décarbonisation des bâtiments et du chauffage (par ex. Heat in buildings, Net Zero Emissions by 2050). Rôle central de la sortie des chaudières fossiles et du déploiement des pompes à chaleur. (IEA)
  • OFEV (2025) – CO₂ statistics: Emissions from thermal and motor fuels. Statistiques officielles suisses sur les émissions de CO₂ des combustibles de chauffage et carburants, incluant la taxe CO₂ sur le mazout extra-léger. (Office Fédéral de l’Environnement)
  • IPCC (2022) – AR6 WGIII, Chapter 9 – Buildings et Chapter 6 – Energy systems. Hiérarchie SER (Sufficiency–Efficiency–Renewables), rôle des bâtiments dans les trajectoires 1,5–2 °C et nécessité de réduire fortement les combustibles fossiles dans le chauffage. (ipcc.ch)

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