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Dernière modification le 6-8-2025 à 13:08:16
ONU : un accord sur le plastique ?
Une mobilisation mondiale pour en finir avec l’âge du plastique
C’est donc ce lundi 4 août 2025, à la veille de la reprise des négociations onusiennes sur un traité mondial contre la pollution plastique, la Place des Nations à Genève s’est remplie de couleurs vives et de slogans sans détour. À l’appel de Greenpeace Suisse, du mouvement Break Free From Plastic, de la Gallifrey Foundation et d’autres organisations engagées pour la justice environnementale, plusieurs centaines de citoyen·nes ont participé à une action symbolique forte : exiger un traité ambitieux, contraignant, et centré sur la réduction de la production plastique à la source.
Drapé·es de rouge, jaune et orange – couleurs de l’alerte – les manifestant·es brandissaient une bulle de bande dessinée géante de 8 mètres sur 3 : « CUT PLASTIC PRODUCTION: DON’T FUEL OUR DESTRUCTION. STRONG TREATY NOW! ». Derrière ces mots, en fond, les noms de milliers de personnes en Suisse soutenant l’adoption d’un accord mondial fort.
Une crise globale, une réponse qui ne peut être que mondiale
Les chiffres sont connus, mais toujours aussi choquants : 460 millions de tonnes de plastique produites en 2020, contre à peine 2 millions en 1950. Si rien n’est fait, ce chiffre pourrait atteindre 1,2 milliard de tonnes d’ici 2060 – dont 80 % finiront en décharges ou dans la nature, contaminant l’air, les sols, les océans… et nos propres corps.
Face à cela, 180 États sont réunis du 5 au 14 août 2025 à Genève, dans le cadre du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5.2) piloté par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
Objectif : finaliser un traité juridiquement contraignant, couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques – de l’extraction des ressources fossiles à la gestion de fin de vie, en passant par la transparence chimique, les interdictions ciblées et la justice environnementale.
Des pays producteurs de pétrole et de plastique comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou la Russie s’opposent farouchement à tout objectif de réduction de la production.
Mais les tensions sont vives. Des pays producteurs de pétrole et de plastique comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou la Russie s’opposent farouchement à tout objectif de réduction de la production. Sans cette condition, pourtant jugée essentielle par la société civile et de nombreux États, le traité risque de devenir un simple catalogue de bonnes intentions.
La société civile dénonce les manipulations de l’industrie fossile
Dans un communiqué percutant, Greenpeace Suisse et ses partenaires ont dénoncé l’influence délétère des lobbys pétrochimiques.
« Lors du précédent cycle de négociations, nous avons compté 221 lobbyistes issus de l’industrie fossile et pétrochimique. S’ils avaient formé une seule délégation, elle aurait été la plus grande de toutes, dépassant largement celle de l’Union européenne et de ses États membres réunis (191). Cette présence massive montre à quel point ces industries se sentent menacées par un traité ambitieux sur le plastique.
Genève étant un carrefour majeur du commerce du pétrole brut et des produits pétrochimiques, leur nombre pourrait être encore plus élevé cette fois.
La société civile en a assez de leurs tactiques de manipulation et de retard. Le monde voit désormais clair : le plastique, comme la crise climatique, est alimenté par l’industrie fossile. Une poignée d’entreprises impacte la vie de milliards de personnes.
Nous avons besoin d’un traité solide et juridiquement contraignant. Maintenant. Le monde entier nous observe. »
— Laurianne Trimoulla, responsable communication et projets à la Fondation Gallifrey Source : Greenpeace Suisse – communiqué du 4 août 2025
Les déchets plastiques suisses finissent en Asie
Pour Mageswari Sangaralingam, de l’association Sahabat Alam Malaysia, il est temps de mettre fin à ces transferts injustes :
La Suisse n’est pas épargnée. Malgré une image de pays propre et recyclant, elle exporte massivement ses déchets plastiques vers la Malaisie, avec une augmentation de 271 % entre 2022 et 2024 (de 69’820 kg à 258’897 kg).
« Un traité international fort sur les plastiques permettra non seulement de réduire la pollution, mais c’est aussi l’occasion de mettre fin à l’injustice du commerce des déchets et de garantir qu’aucune communauté ne serve de décharge pour les excédents d’un autre pays. Un traité significatif doit combler les lacunes qui permettent de dissimuler le commerce des déchets sous couvert de recyclage. Les exportations de déchets plastiques de la Suisse vers la Malaisie ont considérablement augmenté, passant de 69 820 kg en 2022 à 258 897 kg en 2024, soit une hausse de 271 %. En limitant le commerce des déchets, le traité sur les plastiques peut amener des pays comme la Suisse à cesser d’exporter leur pollution et à investir dans des solutions en amont, afin de prendre la responsabilité de leurs propres déchets. » Source : www.greenpeace.ch/fr/communique-de-presse/124079/traite-plastiques-rassemblement/
Ce que demandent les ONG et les citoyen·nes
- Une réduction massive de la production de plastique, en commençant par les usages superflus.
- L’interdiction des plastiques à usage unique et des additifs toxiques.
- L’arrêt de l’exportation de déchets plastiques vers les pays du Sud.
- Des systèmes de réemploi, de consigne et de vrac généralisés.
- Un traité juridiquement contraignant, ambitieux, équitable, fondé sur la science et centré sur la justice sociale.
Inger Andersen rappelait la nécessité de conclure un traité fort couvrant tout le cycle de vie des plastiques, afin de protéger à la fois la santé humaine et les écosystèmes, et d’honorer notre responsabilité à l’égard des générations futures. Source : UNFCCC+13UNEP – UN Environment Programme+13IISD Earth Negotiations Bulletin+13
La Suisse, pays des déchets bien emballés
La Suisse aime à se présenter comme un modèle en matière de recyclage et de gestion des déchets. Mais il suffit d’arpenter les rues, les gares ou les rayons des supermarchés pour constater l’omniprésence des plastiques jetables : cornets, gobelets, couverts « à usage unique », emballages multiples. Même les alternatives dites « écologiques » finissent trop souvent dans les poubelles ordinaires. Dans ce décor familier, notre pays accueille à Genève les négociations finales d’un traité mondial contre la pollution plastique.
Le contraste est saisissant. Que penseront nos hôtes internationaux, venus parfois de pays bien moins riches, en découvrant qu’un pays comme le nôtre n’a toujours pas tourné la page du plastique jetable ? Alors que la Suisse dispose de moyens techniques, de capacités logistiques et d’une tradition d’innovation, elle continue de céder aux injonctions des lobbys industriels, portée par un gouvernement frileux, davantage préoccupé par les intérêts économiques à court terme que par la sauvegarde du vivant.
Alors que la Suisse aurait les moyens, la créativité et la responsabilité historique d’être exemplaire, elle continue de céder à la pression des lobbys industriels.
Même si ces négociations devaient échouer ou accoucher d’un texte trop faible, cela ne nous exonérerait en rien. La Suisse a non seulement les moyens d’agir, mais aussi le devoir moral d’ouvrir la voie. Notre richesse nous offre une marge de manœuvre inégalée : encore faut-il faire preuve de lucidité et d’intégrité, au lieu de tout brader au nom de la sacro-sainte compétitivité. Faut-il encore entendre que les entreprises partiront si l’on agit ? Eh bien, qu’elles partent.
Le déclin de notre société ne viendra pas d’un excès de responsabilité, mais bien de son absence.
Car que vaudra leur présence dans un monde submergé par les déchets, rongé par l’égoïsme et l’inaction ? Le véritable déclin ne viendra pas d’un excès de responsabilité, mais bien de son absence. Ce n’est même plus une question de courage, mais simplement de bon sens. Et s’il est un pays qui peut, ici et maintenant, engager un changement profond, exemplaire et sans compromis, c’est bien le nôtre. Alors n’attendons plus.
The Big Plastic Count : des chiffres suisses accablants
En mai-juin 2025, la campagne The Big Plastic Count, pilotée par la Gallifrey Foundation, Greenpeace Suisse et Earth Action for Impact, a mobilisé 11’586 participant·es à travers le pays. Résultat : une majorité écrasante des déchets plastiques identifiés provient des emballages alimentaires et de boissons.
Et 91 % des personnes interrogées estiment que la responsabilité de proposer des solutions sans plastique incombe aux marques et à la grande distribution – pas aux consommateurs.
Greenwashing suisse : entre recyclage vanté et réalité problématique
Bien que la Suisse cultive une image de championne du recyclage, un écart préoccupant subsiste entre cette réputation et les faits concrets :
- Une consommation élevée et des solutions insuffisantes
Chaque année, la Suisse consomme près de 1 million de tonnes de plastique, soit environ 120 kg par habitant·e, principalement des emballages à usage unique. Malgré une collecte sélective, seule une faible fraction est réellement recyclée ; la majorité est incinérée, et une partie finit dans la nature — estimée à 14 000 tonnes par an. www.swissinfo.ch/fre/economie/le-plastique-envahit-la-suisse-et-le-recyclage-ne-r%c3%a9soudra-pas-tout/48955150 - Le recyclage n’est pas la panacée
Même lorsque le plastique est collecté, le recyclage reste limité pour des raisons techniques : la complexité des matériaux, la dégradation de leur qualité et la présence d’additifs toxiques réduisent son efficacité. Pire, ce modèle entretient un greenwashing : le tri est présenté comme une solution suffisante alors qu’il ne règle pas la surproduction de plastique à usage unique.
www.greenpeace.ch/fr/story-fr/98634/recyclage-plastique-une-impasse/
Ce décalage entre communication vertueuse et réalité environnementale appelle à une remise en question profonde : il est temps d’aller au-delà des apparences, de réduire massivement le plastique dès la production, de privilégier le réemploi, et de ne plus masquer les limites du recyclage derrière des discours rassurants.
Une sculpture pour rappeler l’essentiel
Face au Palais des Nations, une œuvre monumentale a été installée pour la durée des négociations. Signée par l’artiste engagé Benjamin Von Wong, la sculpture Toxic Inaction revisite le « Penseur » de Rodin… peu à peu enseveli sous les déchets plastiques. Chaque jour, l’artiste y ajoute de nouveaux objets collectés – filets de pêche, pneus, bouteilles, jouets – pour illustrer l’accumulation sans fin d’une pollution évitable.
Benjamin Von Wong explique que l’objectif de son œuvre n’est « pas de faire pression », mais bien « de rappeler aux négociateurs pourquoi ils sont là », en référence à leur mission vis-à-vis des générations futures.
Un rappel visuel fort, alors que les négociations s’enlisent parfois dans des détails techniques, au risque d’oublier les enjeux vitaux de santé publique, d’équité et de préservation des écosystèmes.
Sources
- Greenpeace Suisse – Communiqué du 4 août 2025
www.greenpeace.ch/fr/communique-de-presse/124082/plastics-treaty-rally/ - Greenpeace Suisse – Campagne The Big Plastic Count (mai-juin 2025)
www.greenpeace.ch/fr/publication/119932/the-big-plastic-count/ - Greenpeace Suisse – Dossier « Tout savoir sur la pollution plastique »
www.greenpeace.ch/fr/agir/pour-avenir-sans-plastique/tout-savoir-pollution-plastique/ - ONU Info – « Un traité mondial sur la pollution plastique reste possible à Genève »
news.un.org/fr/story/2025/08/1157233 - Léman Bleu – « L’ONU convaincue d’un possible accord sur le plastique à Genève »
www.lemanbleu.ch/fr/Actualites/Geneve/L-ONU-convaincue-d-un-possible-accord-sur-le-plastique-a-Geneve.html - PNUE – Dossier officiel sur la pollution plastique
www.unep.org/fr/pollution-plastique
24heures – « Quinze jours pour sauver un traité mondial sur le plastique »
www.24heures.ch/negociations-a-geneve-quinze-jours-pour-sauver-un-traite-mondial-sur-le-plastique-679844774308