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Le climat change plus vite que prévu

Dernière modification le 4-8-2022 à 15:20:22

Interview Martine Rebetez, juin 2022

Transcription complète

C’est le premier jour de l’été aujourd’hui, mais on a l’impression qu’il avait pris de l’avance cette année, vu les fortes chaleurs qu’on subira encore jusqu’à ce soir, ça devrait redescendre un peu. Ensuite, des records de température ont été battus il y a encore quelques années.

On s’attendait à de tels phénomènes plutôt aux alentours de 2050.

Pluies torrentielles, vagues de chaleur, montée des eaux, feux de forêt se multiplient à travers le monde.

Presque chaque semaine, une étude nous dit que ces phénomènes extrêmes annoncés pour la deuxième partie du siècle vont finalement devenir réalité bientôt.

Bonjour, Martine Rebetez, vous êtes climatologues. Professeur à l’université de Neuchâtel, membre de l’Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage.

Est-ce qu’un climat plus extrême dans son intensité, dans la fréquence des événements peuvent devenir la norme plus vite que prévu ?

Oui, si vous voulez le problème, enfin, ce qui détermine le moment où certaines températures vont survenir, c’est les quantités de gaz à effet de serre qui se trouvent dans l’atmosphère. Et ce qui s’est passé, c’est qu’entre 1990, où on a commencé à prendre des résolutions pour réduire ces émissions qui s’accumulent dans l’atmosphère chaque année un peu plus, on a énormément augmenté, chaque année, les quantités que les sociétés humaines émettent au lieu de les réduire.

Ce qui était attendu, c’est qu’on les réduise le plus possible, éventuellement le scénario le pire, c’était qu’on en reste aux quantités de 1990, c’est-à-dire 38 Gigas tonnes de CO2 chaque année rajouter dans l’atmosphère, émises en direction de l’atmosphère et puis on en est aujourd’hui plutôt à 60 et plus que 60.

Donc ce n’est pas que les modèles étaient faux, c’est qu’il ne prévoyait pas qu’on enverrait autant de CO2 dans l’atmosphère ?

Voilà, ce sont les différents scénarios qui étaient convenus, c’était, on va réduire un peu plus tôt, un peu plus tard des quantités plus importantes, moins importantes, ces scénarios sont restés les mêmes pour pouvoir continuer à travailler. Le pire des scénarios, c’est celui qu’on a appelé « business as usual », c’est-à-dire, on ne fait rien, mais en réalité, on n’a pas rien fait, on a fait pire et de pire, en pire.

Est-ce que maintenant on a ajusté ces modèles pour les prévisions des années ou des décennies à venir ?

Oui tous les cinq à sept ans les modèles sont réajustés par rapport aux quantités d’aujourd’hui, du jour, mais toujours dans l’idée de dire, « au pire on ne va pas réduire ».  Et finalement, parce que ce sont des décisions, ce sont les engagements qui sont pris par les pays. C’était l’engagement de Kyoto sur la base de 1990 qui n’a pas été tenue. C’était l’engagement de Paris qui n’a pas été tenu non plus. Donc à chaque fois on a des engagements qui disent « on va réduire, on va réduire » et en réalité on ne fait qu’augmenter.

Ce n’est pas seulement qu’on augmente chaque année les quantités qui sont émises. Il faut voir les gaz à effet de serre comme un total qui se trouvent dans l’atmosphère. Donc, on en accumule chaque année encore davantage. C’est comme si on accélère encore le processus.

Mais est-ce que les mesures politiques qui sont prises face à l’urgence climatique n’ont pas toujours un train de retard lorsqu’elles se basent sur des modèles qui sont déjà trop vieux ou déjà dépassés ?

Alors les modèles sont vraiment avérés juste, ce sont des scénarios.

Les engagements politiques, c’est une chose, mais le principal problème qu’on a aujourd’hui, c’est que tous les intérêts qui se trouvent dans les énergies fossiles, tous les intérêts à continuer à extraire ces énergies fossiles, ses intérêts financiers. Il y a énormément d’acteurs, ce sont des filières qui sont très larges et qui rapportent à beaucoup de milieux. Et évidemment, c’est une manne que ces milieux-là ne veulent pas perdre. Donc tout toutes les actions sont entreprises pour empêcher qu’on se tourne vers les énergies renouvelables, comme on espère le faire depuis trente ans.

Le processus se fait, c’est en train de s’engager. Mais le but avoué des pétroliers entre autres, c’était de retarder le processus au maximum, en semant le doute, non seulement sur l’importance des changements climatiques, mais aussi sur l’intérêt des actions. Et c’est ce que l’on continue à voir aujourd’hui, empêcher que ces actions prennent.

Et il y a toute la question de l’attribution. Est-ce qu’on a fait plus de progrès ? Je lisais dans Le Monde la semaine dernière un article qui nous disait qu’on a beaucoup progressé dans l’attribution des événements météorologiques spécifique au réchauffement climatique. Donc maintenant, on est capable de dire que tel événement est lié à ce phénomène plus global ?

Voilà, il y a encore vingt ans, on disait que certes, on prévoyait une augmentation typiquement des canicules, c’était quelque chose qui allait augmenter. Mais on ne pouvait pas dire si une canicule spécifique serait survenue auparavant ou pas. Et depuis la canicule de 2003 qui avait vraiment frappé les esprits dans notre pays et en Europe, c’est quelque chose qu’on a réussi à attribuer dans le sens où on a pu montrer que c’est un événement qui ne serait pas survenu si on n’avait pas eu autant de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Et aujourd’hui, la différence est telle par rapport à la situation qu’on avait avant ses émissions de gaz à effet de serre, que les événements extrêmes, pour la plupart, peuvent facilement être attribués sans aucun doute au changement climatique.

Alors en Suisse aussi le climat change plus vite que prévu. Est-ce que la Suisse va changer aussi plus vite que prévu ? Est-ce qu’on doit s’attendre à ce que le pays change dans sa physionomie, dans ce qui s’y passe ?

Oui, oui, elle est déjà en train de changer. Elles changent plus vite que prévu, comme partout ailleurs. Ce qui est bien visible, c’est les glaciers qui reculent beaucoup plus vite que ce qui était prévu et tout ce qui était imaginable. Les températures qui augmentent, ces canicules qu’on voit aujourd’hui, qui ne surviennent pas chaque année, en 2021 on avait cette variabilité typique de nos latitudes, c’était autre chose. Mais on a quand même eu, des situations de sécheresse et de canicule, beaucoup, beaucoup plus fréquemment, beaucoup moins de neige, la pluie à plus haute altitude en plein hiver. Donc tous ces phénomènes-là sont en train de se renforcer. La vitesse s’accélère.

On parlait hier sur cette antenne toute la journée de la société tout électrique, l’avènement du tout électrique. On aura besoin d’eau dans les barrages en Suisse pour ça, est-ce que dans dix, quinze, vingt ans, il y en aura encore ?

Oui, dans les barrages on a la fonte des glaciers qui ajoute une partie de l’eau qui peut être récoltée. On continuera à avoir des précipitations, que ce soit sous forme de pluie ou sous forme de neige. On n’aura, juste, pas la part de fonte des glaciers, mais elle est mineure dans l’approvisionnement des glaciers. Ce qui va beaucoup changer, c’est la saisonnalité, parce que la fonte de la neige se produit de plus en plus tôt. Et d’autant plus si on n’a pas la partie glaciers, ce sera beaucoup plus tôt dans l’été qu’on aura le maximum d’approvisionnement en eau.

Ce n’est pas tellement la question du manque d’eau dans l’absolu, mais vraiment de la gestion. Les barrages sont appelés à jouer des rôles qui vont être de plus en plus importants, pas seulement fournir de l’électricité, mais aussi réguler les quantités d’eau puisqu’aujourd’hui on parle de sécheresse et de canicule. Mais on va voir aussi de plus en plus souvent des précipitations très intenses, des inondations, des laves torrentielles et là, les barrages peuvent retenir une partie de l’eau à haute altitude.

Ils ont ce rôle à jouer. Merci beaucoup, Martine Rebetez, de vous être arrêté dans la matinale à très bientôt.

Merci au revoir.

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